Coup de pied au cul
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Revoir Coup de Tête en 2024, et sur un grand écran, oh joie et félicité, se révèle un plaisir à double tranchant.
Car l'on se remémore à quel point le cinéma des années soixante-dix, et plus particulièrement le genre de la comédie, pouvait se révéler caustique et poil à gratter.
Et dans le même temps, on se dit qu'une telle satire ne pourrait tout simplement plus voir le jour au sein de la comédie totalement aseptisée et molle de 2024, qui pétoche rien qu'à l'idée de s'aliéner une partie du public, que ce soit en salle ou à l'occasion du remplissage d'une case du soir sur TF1.
Devant Coup de Tête, on se souvient soudain à quel point l'énergie bouillonnante et la fausse désinvolture d'un comédien aussi fulgurant que Patrick Dewaere manque cruellement au cinéma français depuis sa disparition tragique.
Devant la maîtrise et le style affiché, on douterait grandement qu'il s'agit seulement du deuxième film de Jean-Jacques Annaud, et du premier tourné en France. Celle des terroirs et des passions aussi dévorantes suscitées par les parcours des Petits Poucets du football. Celle des toutes petites bourgeoisies condescendantes de la province, concentrant entre leurs mains tous les pouvoirs.
C'est enfin la France de tous les conservatismes et de toutes les hypocrisies, des mélanges des genres et des petits arrangements. Avec, au milieu de ce système bien huilé, l'arrivée du petit grain de sable cher à Francis Veber, scénariste du film, qui va faire totalement dérailler la machine.
Une patte Veber qui fait verser plus d'une fois l'oeuvre dans la comédie la plus pure, à l'image de celle de la nacelle, touchant le cartoonesque débridée, ou encore de la sortie de prison. Une patte voisinant aussi le drame, la satire et l'étude des travers humains décortiqués sous l'oeil d'un véritable anthropologue, investissant des décors traversés de formidables seconds rôles et trognes tels que l'inoubliable Jean Bouise, Michel Aumont, Maurice Barrier ou Hubert Deschamps
Jean-Jacques Annaud gratte là cela fait mal, caricature avec panache ce à quoi il a assisté deux ans durant en préparant son film. Il dénonce des manipulations bourgeoises et leurs veuleries dérisoires, comme Jean-Pierre Mocky, Claude Chabrol ou encore Yves Boisset. Il s'empare de François Perrin et de son côté anar goguenard, loser magnifique exclu et traité de primate. Il ne manquerait plus que l'on entende, entre deux morceaux de Pierre Bachelet, quelques mesures de La Mauvaise Réputation.
Un primate qui savoure son nouveau statut, son pouvoir et son désir de vengeance. Il s'agirait presque de L'Homme des Hautes Plaines s'abattant sur cette ville de western devenue soudain ville fantôme et à laquelle il voudrait foutre le feu. Pour venir pourfendre des notables dont le fond de l'âme est affreux, sale et méchant. Pour soutenir le regard du réalisateur porté sur le pouvoir du vedettariat ou du sport, érigé en véritable religion opium d'un peuple aveuglé et prisonnier d'un cadre rural étroit.
Panem et circences : nous sommes portant loin de Rome. Trincamp devient un minuscule théâtre du cynisme et du vitriol, où le salaud devient le héros et où le pouvoir change soudainement de main. Coup de Tête, comme son héros, pratique le sourire acerbe et corrosif, se montre à la fois drôle et violent, profane et étonnamment religieux le temps d'un repas final en forme de règlement de comptes.
Coup de Tête a beau être un pur produit de son époque, il demeure d'une actualité redoutable dans son propos, dans son ironie et dans sa verve. Assurément la marque des grandes œuvres, n'en déplaise aux irréductibles contempteurs de l'éclectique Jean-Jacques Annaud.
Behind_the_Mask, la victoire en déchantant.
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Créée
le 23 août 2024
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