Coup de torchon par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En 1938, dans un village d'Afrique Occidentale Française, Lucien Cordier est l'unique policier. A l'allure douteuse et nonchalante, l'homme est paresseux, laxiste et peureux, à tel point qu'il horripile ses proches. De plus il est la risée de ses concitoyens mais il ne s'en soucie guère. Seules les jolies femmes semblent réveiller ses instincts Pourtant deux proxénètes notoires l'humilient en permanence, et son épouse Huguette, lassée d'un tel mari, le trompe allègrement, même en sa présence. Sa vie se déroule dans cette médiocrité ambiante jusqu'au jour où il fait la rencontre de Chavasson, son supérieur hiérarchique. Il lui confie ses difficultés à résoudre les problèmes relatifs à sa fonction. Les arguments et les conseils de Chavasson, liant le geste à la parole, provoquent en lui un véritable électrochoc. A partir de ce jour Lucien Cordier n'est plus le même, il va être pris d'une formidable folie de vengeance au point de vouloir éliminer ses adversaires en usant de stratagèmes plus astucieux et audacieux les uns que les autres.


Bertrand Tavernier déclarait, dépité, après l'échec de ce film face au jury des "Oscar": "On fait des films pour se débarrasser de ses angoisses, de ses doutes, de ce que l'on arrive pas à communiquer par une autre voie". En fait, ce film est le plus autobiographique du réalisateur qui trouva un réconfort après le très bon accueil du public pour cette œuvre.
L'histoire nous décrit une société repliée sur elle-même et dominée sans vergogne par quelques colons profitant de leur "prestige" et de leur "pouvoir" auprès des villageois afin de mieux les dominer et les asservir. Lucien Cordier, malgré ses défauts, n'est pas de ceux-là. C'est un homme indécis et torturé malgré les apparences du laisser- faire, mais qui, d'un autre côté, exprime une certaine compassion pour les êtres soumis et exploités. De plus, étant le seul policier de cette petite ville, rien ne fait pour que celui-ci soit très enclin à réagir aux brimades et aux provocations. Toutefois, sans que l'on puisse le détecter, il ne suffit que d'un simple détail pour que cet homme, brimé une partie de sa vie, bascule dans le camp de la vengeance.
Le sermon ironique de son supérieur hiérarchique réveille en lui un sentiment de haine contre ses détracteurs et l'explosion se produit. Lucien Cordier révèle alors des trésors de ruse et une capacité de violence insoupçonnés. Il devient une espèce d'ange exterminateur et il déverse sur cette société perverse tout son venin en exploitant la bêtise et les revers de celle-ci pour la détruire. Ce représentant de la loi est enfin libéré de son carcan, il devient un homme libre et fier.


On ne peut qu'avoir une tendresse particulière pour cette réalisation de Bertrand Tavernier. C'est en fait un film en deux parties bien distinctes.
Au cours de la première, traitée en forme de comédie piquante, il décrit et dénonce le racisme ordinaire, la lâcheté et l'hypocrisie de la société incarnée par Cordier, lequel s'apitoie mais se garde bien d'agir. En effet, le policier est au diapason du monde ans lequel il évolue, il détourne son regard de la misère humaine en faisant semblant de ne rien voir ni rien entendre.
La seconde partie de l'intrigue devient alors un moment fort. Elle décrit la révolte des opprimés, toujours incarnée par le policier et là, le monde change. Lorsque la prise de conscience des exploités arrive à son apogée, la sanction peut être terrible mais justifiée contre leurs tortionnaires et ce film nous décrit fort bien cette situation très commune.
Philippe Noiret est extraordinaire dans ce rôle de flic "caméléon". Il endure, surveille sa proie et finit par s'acharner dessus avec un calme et un naturel déconcertant. Ses partenaires se montrent à la hauteur de leur talent, notamment Isabelle Huppert et Eddy Mitchell mais également Stéphane Audran, Jean-Pierre Marielle et Guy Marchand.


Voici donc une œuvre qui dépeint fort bien la cruauté d'une société de privilégiés qui, par sa suffisance et les injustices qui en découlent, crée de dramatiques situations qui, si elle n'en prend pas la conscience, pourraient bien se retourner contre ceux qui en sont responsables.


Note: 8/10

Grard-Rocher
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les très bons films., Cinéma : Entrez dans monde du drame., Cinéma : Entrez dans le monde de la comédie. et Cinéma : Entrez dans le monde du polar.

Créée

le 27 juin 2014

Modifiée

le 31 mars 2013

Critique lue 6.6K fois

69 j'aime

30 commentaires

Critique lue 6.6K fois

69
30

D'autres avis sur Coup de torchon

Coup de torchon
Grard-Rocher
8

Critique de Coup de torchon par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En 1938, dans un village d'Afrique Occidentale Française, Lucien Cordier est l'unique policier. A l'allure douteuse et nonchalante, l'homme est paresseux, laxiste et peureux, à tel point qu'il...

69 j'aime

30

Coup de torchon
Kalian
7

Avec les damnés

1938 dans une colonie française d'Afrique occidentale. L'unique policier d'un petit village, fainéant, lâche et indolent se fait constamment humilier par sa femme, des proxénètes, ses supérieurs,...

le 21 oct. 2010

35 j'aime

2

Coup de torchon
-IgoR-
5

Tandis que je t'interlocute

De l'imagination fertile de Jim Thompson, ainsi que de la minutieuse observation de ses contemporains les moins fréquentables, naquit un roman viscéral, un bijou noir unique en son genre, aussi drôle...

le 29 juin 2016

25 j'aime

8

Du même critique

Amadeus
Grard-Rocher
9

Critique de Amadeus par Gérard Rocher La Fête de l'Art

"Pardonne Mozart, pardonne à ton assassin!" C'est le cri de désespoir d'un vieil homme usé et rongé par le remords qui retentit, une triste nuit de novembre 1823 à Venise. Ce vieil homme est Antonio...

177 j'aime

68

Mulholland Drive
Grard-Rocher
9

Critique de Mulholland Drive par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En pleine nuit sur la petite route de Mulholland Drive, située en surplomb de Los Angeles, un accident de la circulation se produit. La survivante, Rita, est une femme séduisante qui parvient à...

171 j'aime

37

Pierrot le Fou
Grard-Rocher
9

Critique de Pierrot le Fou par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Ferdinand Griffon est entré malgré lui dans le milieu bourgeois par son épouse avec laquelle il vit sans grand enthousiasme. Sa vie brusquement bascule lorsqu'il rencontre au cours d'une réception...

158 j'aime

47