La rage de vaincre, faire ses preuves, se dépasser pour se prouver que l’on existe. C’est sur cette voie que nous avait laissés Creed il y a trois ans, dans la droite lignée de Rocky, marchant sur les traces d’un vieux mentor encore bien présent. Vient l’heure de l’envol, avec Creed II.
Mon rapport aux films de l’univers Rocky sera toujours biaisé par mon affection particulière envers eux, par ce qu’ils me font ressentir. Car ce sont des films humains, vrais, qui nous font nous questionner, à penser à nos actions et à notre inaction, à reconsidérer certaines choses. Ryan Coogler avait su rallumer la flamme propre aux films Rocky, et si l’homme aux commandes derrière la caméra a encore changé, l’esprit de Creed n’a pas été affecté. Dans le premier opus, Adonis voulait se faire un nom, ne plus être dans l’ombre de son père, être un « fils de ». Creed II s’intéresse aux liens familiaux, faisant des chocs des générations les catalyseurs de l’intrigue. Un père entraîne son fils, pour le faire vaincre le fils de l’homme qu’il a tué sur le ring trente ans auparavant, avant d’être vaincu par Rocky, et de sombrer dans l’anonymat. La tournure de l’intrigue fait de Creed II une suite autant à Creed qu’à Rocky IV, tant le quatrième opus de la saga Rocky revient ici sur le devant de la scène.
Une nouvelle fois, le film s’articule autour de l’évolution des personnages d’Adonis et de Rocky. Le premier confirme sa réussite et son succès, quand le second continue de soutenir son poulain tout en continuant de mener son existence modeste. Volontairement, Creed II emprunte à Rocky IV dans sa construction et la présentation des enjeux. On voit, d’un côté, un quartier populaire d’Ukraine, gris, morne, délabré, où l’on se bat pour survivre, et de l’autre, le faste de la vie d’un jeune champion américain en devenir. Mais, là où Rocky IV se faisaient se heurter deux puissances l’une face à l’autre, ce sont des fantômes qui se retrouvent dans Creed II. Pour Rocky, ce sont les éternels fantômes du passé, le souvenir de ses combats et de ceux qui l’ont quitté. Pour Drago, ce sont les fantômes de la honte, de la déchéance et de la solitude. Et pour Adonis, ce sont ceux de l’héritage, mais aussi ceux du futur, un futur encore trouble et imprévisible. Creed II vient invoquer les fantômes du passé et les heurter au présent, pour montrer leur impact sur l’avenir, en réunissant les générations dans un combat de tous les jours, où les parents se battent pour leurs enfants, et où les enfants se battent pour leurs parents.
Adonis Creed est, comme le titre du film l’indique, le héros du film, l’élément central, devant se questionner sur ses aptitudes sportives, ses capacités et ses limites, mais aussi sur son avenir avec Bianca et ses futures responsabilités. Il est temps de faire preuve de sagesse, de canaliser sa fougue, de réfléchir aux conséquences de ses actes. Et si la relation Adonis/Bianca est intéressante concernant ce point, tout comme l’évolution du personnage d’Adonis, l’arc narratif sur Ivan Drago et son fils l’est au moins autant. On retrouve un Drago fidèle à celui de Rocky IV, impressionnant et impitoyable d’apparence, mais au fond de lui fragile et en proie à de nombreux traumatismes. Surpassé par Rocky, tombé en disgrâce, abandonné par son pays et sa propre femme, il n’existe plus qu’à travers son fils, devenu un combattant hors normes et surpuissant. Il est le produit de ce malheur irréparable, de ces années à ressasser l’injustice, ne devenant qu’une force animée par la rage et la vengeance. Le personnage de Viktor pourrait paraître très caricatural, mais demeure hautement symbolique, permettant d’incarner des motivations basées sur des émotions négatives, à l’inverse de celles d’Adonis, basées sur des émotions positives. Les deux ont leurs raisons de monter sur un ring, motivées par le contexte familial qui les entoure, mais leurs approches sont radicalement différentes.
C’est d’ailleurs ce qui peut nous faire regretter le développement de la relation Drago père / Drago fils, qui manque de substance pour être pleinement exploitée. En effet, la volonté de faire du clan Drago celui des éternels antagonistes peut donner au spectateur la désagréable sensation d’être face à une caricature, avec la vision d’un homme aigri qui a élevé son fils à la dure dans le but d’accomplir sa vengeance. Une vision qui n’est pas totalement fausse, mais manquant de nuances, à l’instar de la fixette souvent faite sur la confrontation USA/URSS dans Rocky IV qui a sur Creed II des effets similaires. Cela répond, en partie, au besoin des spectateurs d’avoir d’un côté les bons et de l’autre les méchants, afin d’avoir plus d’empathie pour Creed et de se sentir davantage concerné par son combat, au risque de dégrader le traitement qui aurait dû être accordé aux personnages d’Ivan et Viktor Drago. On en viendrait presque à se dire que l’on préférerait un film Drago plus qu’un Creed II, avec l’image d’un « anti-Rocky », plus sombre et désespéré, non sans être dénué d’émotions, explorant une autre facette des combats contre les épreuves de la vie.
Creed II suit l’approche de Rocky dans cette manière de faire preuve de modestie, autant dans le propos que dans la mise en scène, ne cherchant pas les coups d’éclat, pour mieux mettre en avant l’humain. Par ailleurs, il parvient bien à faire le « deuil » de la saga Rocky, de trouver une porte de sortie pour définitivement entrer dans l’ère de Creed (ne voyez aucun spoiler dans cette phrase). L’équilibre entre la volonté de se baser sur la mythologie de Rocky et celle de faire s’émanciper Creed n’est pas toujours facile à tenir, et on le sent au fil du film. Et bien qu’il ait la fâcheuse tendance de parfois s’égarer, de trop s’étaler au risque de rester superficiel, Creed II parvient à offrir une suite intéressante, nous faisant regarder une dernière fois en arrière pour mieux orienter notre regard vers l’avenir, perpétuant les belles valeurs de Rocky et continuant à véhiculer de beaux messages d’humanité. Je ne resterais cependant pas contre le développement d’une histoire autour d’Ivan et Viktor Drago.