Crépuscule à Tokyo est le dernier film noir et blanc d’Ozu, un film très particulièrement sombre et même tragique. On y retrouve les thèmes chers à Ozu : la famille, le temps qui passe, la solitude existentielle.
Le film se concentre sur deux personnages féminins, deux sœurs. Takako, l’aînée a quitté son mari violent et est revenu vivre chez son père ; et surtout sur Akiko, la cadette qui traverse une période compliquée. Elle est enceinte d’un jeune homme qui n’assume pas sa responsabilité. Quant à la mère, elle a quitté le foyer familial pour un autre homme, il y a plusieurs années et les deux sœurs ont été élevées par leur père.
Les deux sœurs affrontent une double solitude, celle due à leur condition respective et celle qui provient du silence absolu sur le traumatisme de l’absence de mère. Takako tente de briser ce silence dans ce dialogue avec son père au sujet d’Akiko :
Takako : « Akiko se sent seule. J’en suis sûre. Tu dois être plus gentil avec elle. C’est parce qu’elle grandit sans connaître de mère. C’est très différent sans mère.
Le père : « Je l’ai dorlotée, j’ai fait si attention à elle que j’avais peur que tu en sois jalouse. Et maintenant regarde-la. Quelque chose ne tourne pas rond ».
Le père n’a pas entendu les paroles délicates de son aînée qui aborde pour la première fois le sujet. Il ne veut, ni ne peut entendre. Et la solitude persiste …
Solitude aussi de ne pas partager l’épreuve traversée. Les paroles de Takako sont cruelles sans qu’elle en ait aucune conscience quand elle tient ce discours à sa sœur qui vient d’avorter sans le lui avoir dit :
Ce matin, tante Shigeko est venue juste après ton départ. Toute excitée comme d’habitude, elle venait parler de ton mariage. (…) Tu es jeune, la vie t’appartient. Tu as tout ton temps pour rencontrer le bonheur. Ne te laisse pas décourager par mon cas. Pour toi, tout commence.
Solitude aussi créée par les commérages formant comme un filet qui emprisonne et isole ceux qui sont pris dans ses cordes. Commérages dont la mise en scène renforce la mesquinerie, ils sont dits sur le ton du badinage, avec un ton détaché, tout en jouant à des jeux d’argent. Il est à remarquer aussi qu’ils sont prononcés par des hommes totalement fermés à ce drame traversé par Akiko du à l’irresponsabilité masculine justement…
- Vraiment ? Une jeune fille si bien … Je suis stupéfait !
- C’est tout à fait ça ! Stupéfiant n’est-ce pas ? « Grande et rare stupéfaction » (…)
- La petite ? C’est une traînée.
La mise en scène est dépouillée, les émotions s’expriment avec discrétion et sont perceptibles à travers la tristesse des regards et le langage du corps. Quand les émotions sont prêtes à sortir et à exploser, elles sont vite réprimées et ravalées.
Crépuscule à Tokyo est un sommet dans la filmographie d’Ozu, aussi bien du point de vue de la mise en scène que de son histoire tragique et de ses personnages féminins peints avec beaucoup de sensibilité.