Crésus
6.6
Crésus

Film de Jean Giono (1960)

Six ans après la célèbre diatribe de Truffaut l'insurgé, dans les cahiers du cinéma, Crésus première et unique réalisation de Jean Giono fait figure d'anomalie dans un paysage cinématographique français marqué par la naissance de la nouvelle vague et la politique du cinéma d'auteur (s) (complets).


Manifeste contre "Une certaine tendance du cinéma français" à n'être qu' un cinéma de scénaristes devenus paresseux recourant systématiquement à l’adaptation littéraire, et texte fondateur de la nouvelle vague, l'article du bonhomme (probablement bien meilleur cinéaste que critique) eut pour effet de rompre temporairement les liens ténus entre le cinéma et la littérature, et la tendance qui voyait nombre d'écrivains adapter leurs écrits (Cocteau, Guitry, Malraux Pagnol) avec un bonheur inégal.


Pourtant et malgré le climat de défiance envers ce que l'on appelait le "cinéma lu", Giono 65 printemps , lassé des adaptations pagnolesques de ses romans qui disait-il traitait sa prose

« non en ami, mais en sauvage », se lance en 1960 dans la réalisation, assisté de deux inconnus (Pinoteau et Costa-gavras). Depuis toujours l'écrivain entretient un rapport passionnel mais déceptif avec le septième art, scénariste de projets avortés (dont un pour Abel Gance), réalisateur dit-on d'un court-métrage disparu en 1937 et puis scénariste enfin de "L'eau vive" présenté à Cannes en 1958, Giono entend avec Crésus rendre grâce à "sa" Provence montagneuse, terre aride et rocailleuse, aux hommes taiseux, loin de l'image de la Provence maritime exubérante de Pagnol et de ses habitants pittoresques .


S'inspirant de l'Opération Bernhard menée par les nazis qui envisageaient de larguer des faux billets en territoire grand-breton afin de déstabiliser l'économie, Giono écrit une fable, une méditation presque, sur le mirage de la richesse offerte à un berger qui, découvre par hasard une ogive emplie de billets. La découverte bouleverse la vie pourtant heureuse de l'homme, partagée entre ses moutons et Fine sa voisine veuve avec qui il "s'arrange pour les sentiments" posant une lampe à la fenêtre pour qu'elle le visite lorsqu'il a besoin de compagnie. Chronique de la Provence rocailleuse donc, Giono dira à ses techniciens:


Vous n’êtes pas ici dans une Provence de tutu panpan. Vous n’avez pas de cyprès, pas de ciel vraiment bleu, pas de tambourinaires. Je vous donne l’aridité et le vent.

le film est empreint tout de même de cette verve méridionale, avec beaucoup de mesure certes, car Crésus le berger est interprété par Fernandel, l'exubérant de Pagnol, qui même lorsqu'il ne cabotine pas, subjugue par son inimitable accent chantant, et ses yeux qui semblent rouler à l'intérieur de leurs orbites.


La scène d'ouverture, simple lecture par le berger d'une sorte d'encyclopédie est un ravissement, et si Giono a finalement renoncé à son projet initial qui devait n’être constitué que d’un long monologue de Fernandel, il faut reconnaitre que l'exercice n'eut pas manqué de piquant. Bref Fernandel joue un peu plus qu'à l'accoutumée de mesure, accompagné par une magnifique Marcelle Ranson-Hervé (dans le rôle de Fine) et par des seconds rôles toujours très justes, pour livrer effectivement une belle réflexion sur la richesse soudaine, les jalousies et même les suspicions qu'elle fait naître lorsque l'homme devenu riche commence à distribuer ses billets dans la vallée. La réalisation, sobre et un peu malhabile n'est évidemment pas mémorable, mais le propos doux-amer s'accommode très bien de ce dénuement, et la morale est tout à fait honorable et positive

les gendarmes viennent récupérer le butin et Crésus tout heureux de retrouver sa vie de berger se décide enfin à "marier" Fine

Au final Giono, malgré l'accueil timide réservé par la critique et les spectateurs réussit son entreprise, Crésus arborant parfois les mimiques sérieuses entrevues dans Regain, adaptation par Pagnol du roman éponyme du Manosquin !



Yoshii
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