Les mille feuilles indigestes
Il y a, dans un genre très différent, deux types au monde capables de me faire supporter les villages de pécores et le Sud dégénéré : Giono et Fernandel, alors quand je tombe sur le seul film réalisé par le premier avec le second dans le rôle principal, comment dire... l'imagination s'égare...
En 1960, Giono a soixante-cinq ans, une petite compagnie de production et un court métrage derrière lui, c'est aussi accessoirement le plus grand écrivain français en activité, mais ce n'est pas le même métier... En tant que cinéaste, Giono déborde d'amateurisme, il a beau se faire aider par Claude Pinoteau et un Costa-Gavras au biberon, ça ne va pas suffire, le film est bourré de maladresses plus ou moins touchantes, de gags déplacés, de décalages saugrenus et souffre cruellement de ce manque de maîtrise.
Et pourtant, il y a une fraîcheur au sein de cette maladresse mille fois plus vivante que dans le déluge de productions amateurs que connait alors le cinéma français de la part de jeunes loups aux dents trop courtes pour compenser leur absolu manque de rigueur. Il y a le sentiment ici d'être face à quelque chose d'autre, un conte utopique sur une autre planète ou presque, dans les décors lunaires d'une Provence aride et montagneuse, une histoire un peu brinquebalante pour commencer mais qui assume de plus en plus une logique absurde que nos amis des studios Ealing n'auraient peut-être pas complètement reniée...
C'est l'histoire d'un berger perdu dans sa montagne qui tombe sur un container rempli de billets de cinq mille francs...
Ca en fait des francs du coup, il essaie de calculer mais c'est vite astronomique pour sa petite cervelle de piaf, mille milliards au moins, beaucoup trop selon la vieille institutrice ressuscitée tout droit de Don Camillo, inconcevable selon le curé à qui il demande habilement conseil sur son utilisation tout en gardant intact le secret de sa fortune...
Et Fernandel, car c'est bien lui, se promène dans son néant ouvert aux quatre vents avec cette question qui lui broie les tripes : qu'est ce qu'on peut diantre foutre avec mille milliards, mille milliards ! Sans compter que ça en fait du papier à caser toute cette cochonnerie...
Honnête dans sa description quotidienne de la vie solitaire du berger perdu, plus douteux dans les tentatives d'humour bon enfant, Giono se découvre alors particulièrement à l'aise lorsqu'il passe son conte de fées à l'acide et à l'humain rance, le village de bouseux plus vrai que nature devient aussi cauchemardesque que hilarant après un banquet d'anthologie digne des plus grandes Cènes...
Alors effectivement, ça ne ressemble pas à grand chose de déjà vu, Dieu merci, et je ne pense pas que le bon Giono se soit trompé de vocation, mais c'est un joli petit film, à découvrir, encore...