Présenté comme une « romance gothique » ancrée au début du siècle dernier, Crimson Peak signe le grand retour cinématographique de Guillermo del Toro à son genre de prédilection : l’horreur. Avec un budget trois fois inférieur à celui de Pacific Rim, le réalisateur mexicain livre un très beau film de fantômes porté par un solide trio d’acteurs. Mais alors, qu’est-ce qui cloche ?


« Ghosts are real, this much I know ». La toute première phrase du film, prononcée en voix off par Edith Cushing (Mia Wasikowska), annonce la couleur. Et pour ceux qui ne la croiraient pas sur parole, la scène suivante montre la narratrice en présence du spectre noir et vaporeux de sa mère qui vient de mourir, emportée par le choléra (ah le XIXe…). Plus de doute : Crimson Peak est un film de fantômes. Et pas n’importe quels fantômes : des entités parfois translucides mais douées de parole et disposant d’une emprise sur le monde physique. Laisser planer l’ambiguïté sur la réalité de ces phénomènes surnaturels – au moins un temps – aurait peut-être été préférable… Enfin, question de goût.


En plus d’être mutilés, les revenants du manoir d’Alledale Hall sont rouge sang, comme la terre argileuse sur laquelle est construite la résidence. Sans atteindre la virtuosité freak d’un Labyrinthe de Pan ou d’un Hellboy, ces créatures affichent un look dégueu assez réussi (de vrais acteurs se cachent sous les costumes et les maquillages, nous assure Guillermo). Ce parti pris d’une horreur frontale – et assez banale, il faut bien le reconnaître – empêche le long métrage de nous donner la frousse, la vraie. Alors oui, quelques passages gores font leur petit effet mais soyons honnêtes : en ne montrant rien ou presque, Les Innocents de Jack Clayton (1961) suscitait davantage d’angoisse… Les jump scares paresseux nuisent à l’atmosphère horrifique par ailleurs très soignée du film, car soutenue par des décors bluffants. En effet, Crimson Peak propose une des plus belles maisons hantées, de mémoire de cinéphile, avec ses boiseries putrescentes, ses murs suintant l’argile pourpre et sa toiture éventrée laissant passer la neige.


Divisée en deux parties bien distinctes, l’histoire de Crimson Peak commence en Amérique (teintes dorées, chaudes) et se termine en Angleterre, à Alledale Hall (teints bleus, froids). Une manière de délimiter le basculement vers le fantastique et l’épouvante. Bien que l’existence des fantômes soit éventée dès le début, le mystère plane bel et bien sur les intentions du ténébreux Sir Thomas Sharpe (Tom Hiddleston) et de sa troublante sœur Lucille (Jessica Chastain), deux Britanniques en voyage aux États-Unis pour financer un projet de machine à extraire l’argile… Le spectateur ne tarde pas à imaginer toutes sortes de plans machiavéliques, surtout lorsqu’Edith tombe sous le charme du noble anglais et décide de le suivre en Europe… Finalement, le twist – car il y en a bien un – s’avère assez décevant, en plus d’être parfaitement prévisible. Dans le même registre de la romance gothique, le bon vieux Rebecca d’Alfred Hitchcock (1940) ou même la dernière adaptation de Jane Eyre par Cary Fukunaga (2011, déjà avec Mia Wasikowska) arrivaient mieux à nous surprendre… et à nous émouvoir !


La faute ne revient pas aux acteurs, tous les trois très convaincants avec leurs personnages, mais plutôt à l’écriture même du film, qui privilégie la fluidité du récit et la puissance graphique – là-dessus, Guillermo est plus que généreux – à la densité psychologique. L’histoire possède quelques moments au fort potentiel émotionnel (la jolie fin par exemple), mais ils peinent à susciter une totale empathie. La bonne nouvelle, c’est que les allergiques à la guimauve n’ont pas à s’inquiéter : pas de mièvreries à déplorer. Reconnaissons tout de même que les deux personnages féminins sortent des sentiers battus, avec une Edith curieuse et courageuse (ainsi que têtue, ce qu’aime son père), aux antipodes de la demoiselle en détresse, et une Lucille aussi déterminée que passionnée.


Crimson Peak réussit le pari de moderniser de façon flamboyante le film gothique tout en respectant ses codes essentiels. Il est juste dommage que le spectateur ne soit jamais vraiment malmené, l’angoisse et l’émotion restant superficielles, le tout enrobé dans un scénario efficace à défaut d’être subtilement amené.


(http://www.dailymars.net/un-splendide-colosse-aux-pieds-dargile-critique-de-crimson-peak-de-guillermo-del-toro/)

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le 14 oct. 2015

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Arthur Bayon

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