En sortant de « Crimson peak », frissons me parcourant encore l’échine, j’étais dubitatif, le film ne serait-il pas un authentique chef d’œuvre du genre ? Il faut toujours se méfier de l‘enthousiasme effréné qui vous saisit parfois au sortir du cinéma. Les heures s’égrenant, où chaque plan, chaque image revenaient me hanter, la nuit, emplie d’étranges sensations et d’un bestiaire horrifique, porta conseil. « Crimson peak » est réellement une œuvre hors du commun !


Guillermo Del Toro est un grand gosse, qui de réalisation en production, d’écriture en collaboration s’amuse à se faire (nous faire) peur, s’étonner (nous étonner), s’émerveiller (nous émerveiller). Il se joue de presque tous les thèmes du cinéma du fantastique et de l’épouvante pour notre plus grand désir. Du très philosophique « Labyrinthe de Pan », au bouillonnant « Pacific Rim », du glacial « L’échine du diable » au savoureux « Hellboy » il affiche une très grande maîtrise au niveau de sa mise en scène, mais surtout de la créativité.


Guillermo Del Toro est aussi un érudit. Dans ces genres de prédilection, il affiche une culture cinématographique, mais aussi littéraire et picturale, dont il puise en références, ses idées, et alimentent on propre univers. Ses références sont l’engrais qui vient fertiliser une terre déjà riche de promesses.


Il n’est donc pas étonnant que « Crimson peak » fourmille de séquences déjà vues par ailleurs. Et bien évidemment dans les films de la Hammer Film Productions (dont il rend ici le plus formidable des hommages). D’une verrière très proche de celle du « Baiser du vampire » de pièces où foisonne un mobilier gothico-kitsch et clinquant comme pour « Le cauchemar de Dracula ».... On retrouve un style, un savoir faire. Del Toro ne s’en cache pas. Et je doute que la Baron Meinster aurait renié ce château cramoisi…


Il serait injuste de ne limiter le seul référentiel à celui de ce studio. Comment ne pas penser à Roger Corman et ses décors grandiloquents (le sous-sol de cuves d’argile fait étrangement penser à ceux de « La chambre des tortures »). C’est au monde littéraire, également à celui de la peinture que l’inspiration semble la plus réussie, les monstres de Füssli, l’incroyable isolement médiéval et architectural d’un Karl Friedrich Schinkel où la nature désolée d’un Caspar David Friedrich viennent enrichir le visuel. Poe, ou William Blake avec ses enluminures du « Mariage du ciel et de la terre » ne sont jamais très loin non plus…


Mais « Crimson Peak » n’est pas non plus un catalogue chic et tendance de tout cela. Guillermo Del Toro est non seulement un artiste complet, mais aussi un réel auteur original (depuis le « Labyrinthe de Pan » personne ne peut en douter !). Latent jusque là, surgie en plein cadre une inspiration romantique, tendance gothique, qui cadre bien avec le personnage. Ainsi les sentiments à l’écran n’existent que dans la représentation que chacun en donne. Ici se perdent langueur, mots doux et autres niaiseries. Nous sommes dans le domaine du passionnel, de l’intuitif, de l’amour en rouge ! Émotions et actes sont exacerbés et arides tout autant que les décors ou le contexte.


Pour mieux mettre en valeur cette violence, ce déchainement de sentiments, Guillermo Del Toro choisit un style outré, tant au niveau de la direction artistique que dans le jeu des acteurs. Cette apparente lourdeur pèse sur le récit, nous enserre le cœur, nous révulse. Nous assistons à un véritable drame dont on sait dès le début qu’il sera inexorable et terrible. Cette époustouflante mise en scène macabre se révèle d’une grande profondeur et d’une justesse peu commune dans ce genre de production. Pas un plan séquence ou large, pas un panoramique ou fondu au noir n’est superflu. La maestria Del Toro est gagnante à tous les coups.


Si l’on atteint pas l’amplitude intellectuelle du « Labyrinthe de Pan », ce n’était pas le but recherché non plus, « Crimson Peak » est un vrai petit chef d’œuvre signé par un réalisateur toujours plus inspiré, qui possède un vrai style et un univers qui lui est propre, loin de toutes conventions. A l’image de son héroïne Edith, il réfute une vision de la vie trop guindée et un peu poussiéreuse à la Jane Austen, lui préférant celle plus torturée, passionnée et humaine d’une Mary Shelley.


Un énorme coup de cœur pour un coup de maître !

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le 16 oct. 2015

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Fritz Langueur

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