Après des incontournables de l’animation comme Wallace & Gromit, Chicken Run ou encore Shaun le mouton, le studio Aardman Animations revient avec Cro-Man. Un nouveau-né portant sur ses épaules l’héritage de créations parlant à tous les publics, et à la saveur si particulière.
Une famille d’hommes de Cro-Magnon mène une vie paisible de chasseurs-cueilleurs, plusieurs millénaires après l’extinction des dinosaures où, selon cette histoire, vivaient déjà des ancêtres unis derrière le sport du ballon rond. Alors que le chef d’un peuple médiéval débarque et prend possession de leur territoire, la survie de leur milieu de vie devra se décider lors d’une partie de football.
Cro-Man est d’abord appréciable pour ses visuels irréprochables. La patte artistique et le stop-motion caractéristiques du studio sont poussés à leur paroxysme, l’univers est développé de manière simple tout en étant attachant, et sur ce point le film est une réussite. On retrouve certaines touches d’humour absurde qui fonctionnent à merveille (ouvrir le film au temps des dinosaures en précisant que l’on est à « Manchester »), tout comme les différents anachronismes qui sont toujours des trouvailles (du rasoir-scarabée aux marionnettes pour faire les ralentis des matchs). Il y a même quelques (rares) références à l’attention des plus grands, avec par exemple un vendeur de « jurassic pork » ou un marchand de silex nommé « flint [silex, en anglais] eastwood ». Enfin, le film se moque ici et là de certains clichés inhérents au monde du football (les joueurs qui se recoiffent sans cesse, les simulations, etc).
Malheureusement, c’est en terme d’histoire et surtout d’humour que le bât blesse. La trame narrative est des plus convenues dans son déroulement, les thèmes et valeurs véhiculés sont vus, revus et éculés (l’amitié triomphante, l’esprit d’équipe face à l’individualisme, le courage), si bien que Cro-Man ne surprend à aucun moment. Pire, les gags sont souvent téléphonés et peu originaux, à l’image de la ridiculisation du chef et de la figure du pouvoir, faite de manière peu subtile, sans finesse ni nuances aucunes. Un humour aseptisé qui touchera un plus large public, certes, mais se faisant laissera sur le banc de touche ceux qui appréciaient les créations Aardman pour leur impertinence et leur second degré. Cro-Man est un peu trop premier degré. L’intelligence muette de Gromit mettait justement en exergue la bouffonnerie d’un Wallace toujours trop bavard et maladroit. Il manque ici cet équilibre entre les personnages qui se suffisent à eux même, sans vraiment servir ce genre de relations improbables qui faisaient la sève des films précédents du studio. Pourtant les personnages proposés sont dans l’ensemble charismatiques et réussis (à commencer par le sanglier de compagnie et le petit lapin), mais ils manquent de ce cynisme involontaire qui participait à l’étrangeté de leurs aînés, parfois effrayants et cruels comme dans Chicken Run.
Cro-Man souffre peut-être de sa grande générosité. Le film donne tant de choses à voir en moins d’une heure et demie qu’il paraît parfois brouillon, confus, noyant le spectateur dans ce trop-plein d’idées (intelligentes, au demeurant) comme sont perdus les personnages à leur arrivée dans la forteresse médiévale, débordante de choses qui leur sont inconnues. Il glisse tout un tas de détails faisant échos à l’actualité (le grillage et les pancartes d’interdiction, rappelant la frontière Mexique/États-Unis et le problème de l’intégration ou des enjeux autour de la question du territoire), mais qui ne sont pas suffisamment creusés pour être de réels atouts à créditer au film.
En se fondant parfaitement dans le paysage des films d’animation de ces dernières années, Cro-Man oublie la « magie Aardman » qui en fait un studio bien à part, et pas que sur le plan graphique. Un bon film qui assure un agréable moment mais qui, par son manque de profondeur, ne marquera sûrement pas autant les mémoires que ses grands frères. Souhaitons lui tout de même une réussite au box office, afin que le studio continue à nous offrir ces belles créations qu’il serait malgré tout dommage de bouder.
[Article à retrouver sur Cineseries-Mag]