La production du film s'est étirée dans le temps à l'extrême si bien qu'il lui a fallu dix ans environ pour voir le jour après bien des difficultés à récolter les fonds nécessaires. Le projet était ambitieux et c'est la direction artistique qui a commencé à lui donner une substance puisque les producteurs sont allés chercher Alexandre Espigares (réalisateur oscarisé du court-métrage Mr Hublot) sur le tard.
C'est ainsi une drôle d'équipe qui a dû apprendre à travailler ensemble : la production qui rêvait de produire une grande aventure familiale et pour qui le film s'annonçait déjà comme le projet d'une vie, leur grand projet. D'autre part, Stéphane Gallard qui avait des ambitions déjà très détaillées quant à la direction artistique du film et enfin, le petit dernier, un Alexandre Espigares biberonné aux western et qui souhaitait insuffler dans le film un esprit très far-west. J'avais été assez frustrée lors du Work In Progress d'Annecy de l'entendre moins parler que ses compères et pensais pouvoir me rattraper avec les bonus du coffret collector... Que nenni, je n'en saurai pas beaucoup plus. Et autant dire que le western, je l'ai vu dans les décors ou la trame narrative mais pas autant dans la réalisation que je l'aurais imaginé. Quand producteurs et directeurs artistiques nous répètent sans cesse qu'il fallait tout de même que l'oeuvre soit grand public, qu'il y avait nécessité de l'édulcorer (sans en écorner l'essence), on se demande si le réalisateur n'a pas été muselé dans ses volontés. Et cela ne serait pas surprenant puisqu'à son arrivée, le projet existait déjà depuis longtemps et que le projet était déjà plus que formé.
Croc-Blanc est bien sûr un récit d'apprentissage et il est heureux de voir ici le film centré sur le chien-loup tout comme on apprécie le naturalisme de la faune et la flore et le refus de l'anthropomorphisme chez l'animal. En revanche, la descente aux Enfers est bien brève pour l'animal, quoi qu’incarnée par un superbe plan expressionniste où le combat de chiens se teinte d'une lumière rouge et se reflète sur la canne de son bourreau. Jamais on ne voit l'animal devenir féroce alors qu'on nous le présente comme la terreur régionale, comment croire ensuite les personnages qui semblent effrayés par lui alors qu'on ne l'a jamais vu ni agressif ni réellement puissant ? C'est bien parce que l'homme lui a appris la violence qu'il doit se défendre et s'en méfier, on aurait sûrement pu le montrer davantage transformé par cette expérience traumatisante (sans toutefois heurter les sensibilités des plus jeunes, n'y a-t-il pas de la cruauté dans Le Roi Lion ?). Son développement psychologique est donc tout à fait minimal. Première déception.
Venons-en ensuite à la 3D employée sur ce film. Motion capture pour les humains dont l'habillage mime les techniques sculpturales : pour le directeur artistique, il fallait leur donner un aspect brut et donc taillé à la spatule pour nous faire comprendre qu'ils étaient façonnés par leur environnement sauvage. Pour les animaux, l'esthétique est différente : on recherche ici un rendu pictural beaucoup plus doux qui les fond bien mieux dans la nature. On comprend rationnellement les idées qui sous-tendent cette direction artistique et l'intérêt narratologique de différencier les animaux des humains mais c'est aussi pour cette raison qu'il est parfois difficile de se plonger dans le film ; comme si chaque protagoniste appartenait à un film différent. Quand un humain posait sa main rigide sur le corps de l'animal, c'est la vraisemblance qui me retenait, comme si mon cerveau ne parvenait pas à associer ces deux êtres. D'un côté, une main faite de bâtonnets argileux, de l'autre une fourrure quasiment impressionniste. À croire que les réflexions qui ont précédé la création artistique ont pris une telle ampleur qu'elles ont souffert d'une sur-théorisation et sont devenues contre-intuitives. Les visages très anguleux qui reflètent la lumière de manière inégale auraient peut-être moins juré s'ils n'étaient pas accompagnés de la motion capture. Les mouvements ne semblent pas aussi fluides que ceux des animaux, mais c'est peut-être simplement l'usage de deux techniques qui se résout mal en un tout harmonieux ? Deuxième déception donc.
Un bilan mitigé qui donne l'impression que chaque entité créatrice avait sa propre vision du film et en a fait son laboratoire. On aurait aimé voir un film entièrement livré à l'esthétique picturale car le chara design de Croc-Blanc et les décors somptueux (sans parler du traitement de la lumière) auraient suffi à faire sensation. Cela nous donne envie de suivre chacun dans ses futurs projets mais cela laisse aussi sur sa faim... Dans un procédé technique similaire, à savoir une 3D alliée à des sculptures d'argiles numérisées, le film d'animation Adama semblait peut-être plus cohérent visuellement...