Lorsque le turbulent Sam Peckinpah aborde le film de guerre il le fait à sa façon, en bousculant les conventions et en multipliant les provocations. Première particularité, et non des moindres, le film se déroule du côté allemand. Les rôles sont inversés : ici ce sont les alliés (les russes puisque nous sommes sur le front... russe) qui sont des entités indistinctes dont le seul but est de tuer les personnages principaux : des soldats de la Wehrmacht.
Des soldats que l'on découvre dans toute leur simplicité et dans toute leur humanité. Parmi ces hommes simples il y a le Sergent Steiner (James Coburn plus James Coburn que jamais) un sous-officier désabusé et rebelle. Loin de toute idéologie (en particuliers l'idéologie nazie) il n'estime avoir de comptes à rendre qu'à ses hommes. Les morts, le bruit, la boue, la poussière tel est leur quotidien.
Mais un jour arrive le Capitaine Stransky, un ambitieux militaire de carrière volontaire pour le bourbier russe afin de décrocher la Croix de fer, la plus haute distinction de l'armée allemande.


Stransky, aristocrate rigide et autoritaire, est un salaud fini et il est bourré de principes absurdes. Plus fantoche que véritable soldat il n'hésite pas à usurper sa croix de fer alors même qu'il est incapable d'assumer les actes nécessaires à son obtention. Ainsi il n'a pour seule blessure de guerre qu'une égratignure faite sur un coin de table.
Mais il y aussi le colonel Brandt (James Mason) et le capitaine Kiesel, des officiers ayant depuis longtemps oublié les raisons de leur engagement et qui se contentent d'exécuter les ordres.
Dans l'excès de zèle ou dans la désinvolture la chaine de commandement allemande est dépeinte dans son inutilité la plus totale. Plus encore que la simple dénonciation d'une hiérarchie injuste le film nous dépeint surtout un système militaire dont les idéaux et les principes n'ont aucune valeur une fois confrontés à la cruelle réalité du champs de bataille.


Film de guerre oblige le film comporte de nombreuses batailles et Bloody Sam continue d'explorer son obsession pour la violence avec des affrontements furieux. Là encore le but est de pointer toute la démence des situations, de s'attarder sur le crade et l'insoutenable. Le brillant montage décompose l'espace en de multiples fragments et le reconstitue en les alternants de façon rapide, comme dans un état de panique. Corps déchiquetés sous les balles, explosions plein cadre, canons crachant leurs balles... les combats nous plongent dans le chaos.
L'utilisation toujours judicieuse du ralenti renforce encore les différentes sensations éprouvées comme ce magnifique plan de Steiner entrain de recharger après avoir nettoyé un nid de mitrailleuse russe, toute la lassitude du combat ressort alors.


Face aux officiers Steiner et ses hommes ne sont pas glorifiés pour autant. Steiner reçoit la fameuse croix de fer mais il ne l'a pas demandé, il n'en veut pas et lui crache dessus comme sur tout ce qu'elle représente. Pas de gloire, pas de héros, pas de drapeaux. Ils ne sont ni des anges (ils tuent sans hésiter lorsqu'ils sont en danger) ni des monstres (ils ne sacrifient pas de vies inutiles) mais des hommes qui n'aspirent qu'à survivre dans une guerre qu'ils savent déjà perdue. Voués au sacrifice de l'inutile la seule chose qu'il leur reste sont leurs compagnons d'arme. Une amitié franche et virile comme dernière trace d'humanité.
Le scénario nous entraine dans différentes atmosphères pour une peinture de la guerre toujours plus globale et plus acerbe. Il y a par exemple cette séquence dans un hôpital où les généraux se pavanent et veulent saluer un "brave soldat" qui n'a même plus assez de bras pour leur serrer la main. Séquence au cours de laquelle un repas est filmé de la même façon qu'une bataille, pour un résultat franchement dérangeant.


Sam Peckinpah signe un film tétanisant et unique, à la croisée de plusieurs genres (le film de guerre, le western, le survival). En brodant son histoire autour d'une récompense militaire totalement démythifiée c'est tout le vernis social que Mad Sam gratte jusqu'au sang. Croix de fer est un film sans concessions et sans espoir. Un film perturbant et éprouvant aussi bien physiquement (le montage nerveux des batailles) que moralement.
Dans une ultime provocation Peckinpah offre à son film un épilogue qui prend à contre-pied le spectateur. Un final d'un nihilisme achevé, en forme de doigt d'honneur. Le genre de séquence qui vous reste dans le crâne un bout de temps. Ce rire... mon dieu que ce rire est incroyable.

Vnr-Herzog
9
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le 26 août 2011

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