Copain, copine

Réalisateur aujourd'hui oublié, Jean-Charles Tacchella avait pourtant rencontré un joli succès à ses débuts, avec notamment un deuxième film ("Cousin, cousine") qui connaîtra l'honneur d'une sélection aux Oscars - au titre de meilleur film en langue étrangère - suivie d'un remake hollywoodien quelques années plus tard ("Cousins", signé Joel Schumacher).

Son cinquième long-métrage, intitulé "Croque la vie", est la chronique douce-amère d'une amitié triangulaire au fil des années : Thérèse, Alain et Catherine se sont connus aux Beaux-Arts, le cœur rempli d'espoir et la tête pleine de rêves. Mais les ambitions ont décliné à mesure que les années passent et que chacun fait surtout comme il peut pour assumer le quotidien, et affronter les épreuves de l'existence.

Malgré son titre optimiste, en forme d'injonction au bonheur, "Croque la vie" est donc une comédie à la tonalité aigre-douce, qui alterne les scènes à visée humoristique et les passages beaucoup plus sombres et caustiques, voire douloureux, les personnages n'étant guère ménagés au cours du récit.
Comme un résumé de l'esprit du film, cette scène absurde d'échange de claques, qui débute comme un jeu, suscite rapidement le malaise chez le spectateur, et s'achève par une bagarre générale…

Par ailleurs, avec "Croque la vie", Tacchella règle leur compte aux années 70 : il dresse le bilan de cette décennie entamée dans les folles espérances de mai 68, et qui vient de s'achever avec le second choc pétrolier et la fin définitive des Trente Glorieuses.

Le film illustre ce désenchantement collectif par le biais de désillusions individuelles, incarnées notamment par le personnage d'Alain (Bernard Giraudeau), qui a renoncé à ses rêves d'artiste et d'indépendance, devenu père de famille, propriétaire de sa maison (héritée du beau-père) et petit commerçant… Et sur le plan des valeurs, ce gauchiste convaincu semble avoir appris la modération et s'être trouvé d'autres priorités…

On le voit, le tableau n'est guère reluisant aux yeux de Tacchella, même si le parcours des deux jeunes femmes (Brigitte Fossey et Carole Laure) apparaît moins tranché.

Si "Croque la vie" dégage un fort capital de sympathie, le film n'est hélas pas une franche réussite, pénalisé par son aspect foutraque, avec notamment de fréquentes ellipses aussi brutales qu'aléatoires, et un montage à l'avenant, un peu anarchique.
Du coup, certains passages décisifs de la vie de nos héros semblent survolés, traités en quelques instants, alors qu'a contrario d'autres séquences plus anecdotiques sont étirées inexplicablement.

Le film laisse donc une impression mitigée, sympathique mais inégal sur le fond, très quelconque sur la forme. "Croque la vie" est surtout susceptible de plaire à ceux qui ont connu cette période charnière des seventies, et qui se laisseront sans doute charmer par l'atmosphère mélancolique et par le trio de têtes d'affiche, attachant et complémentaire.