Quête à la turque
Des années après sa nièce, une professeure géorgienne à la retraite franchit la frontière turque à son tour. Crossing Istanbul part d'un schéma classique, celui de la recherche d'une personne...
le 2 juil. 2024
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Pour son quatrième long métrage, le réalisateur Suédois d’origine géorgienne Levan Akin (sans lien de parenté avec Fatih Akin, Allemand d’origine turque et connu pour De l’autre côté), s’inspire très librement d’une histoire qu’on lui a racontée, pour nous emmener à Istanbul selon son inspiration souvent surprenante.
Personnage central du film, Lia (Mzia Arabuli, 72 ans), enseignante en histoire retraitée, a soutenu sa sœur malade pour ses dernières années. Sur son lit de mort, Lia a promis à sa sœur de retrouver son enfant, Tekla (Tako Kurdovanidze). C’est ainsi qu’elle vient trouver des amis pas vus depuis longtemps, dont le fils Achi (Lucas Kankava) lui apprend que Tekla vivait dans une communauté trans mais n’habite plus dans le coin. Aucune nouvelle de Tekla depuis son départ, pour Istanbul croit savoir Achi qui conserve une adresse. N’ayant plus d’autre motivation dans la vie que de chercher Tekla, probablement parce que c’est tout ce qui lui reste comme famille, Lia décide de rallier Istanbul. D’ores et déjà quelques interrogations émergent. Où se trouve Lia quand elle rencontre Achi ? On finit par comprendre qu’il s’agit de la Géorgie. Pourquoi Achi décide de suivre Lia et même ensuite de s’installer à Istanbul ? Il semblerait qu’Achi n’ait aucun avenir chez lui, alors qu’à Istanbul il considère que le champ des possibles s’offre à lui. Émerge alors une considération entendue dans le film, en substance « On ne vient pas à Istanbul par hasard, il est si facile de s’y perdre. » Si Achi ne fuit qu’un avenir incertain, on imagine facilement que Tekla ait fui sa famille qui ne l’acceptait pas comme personne transgenre. Ceci dit, il faut d’emblée signaler que les personnages transgenres qu’on observe dans le film ne sont pas apparemment obsédés par leur condition de transgenres, même s’ils ont tendance à se regrouper par exemple pour s’installer dans un même quartier. Il n’est jamais question non plus d’une quelconque opération pour l’un d’entre eux ni d’une quelconque orientation sexuelle. Il n’est jamais précisé non plus si tel ou tel personnage doit être considéré comme un homme ou une femme ; c’est laissé à l’appréciation des spectateurs.
Le film s’avère déconcertant par bien des points. Ainsi, malgré son titre, il ne se passe pas exclusivement à Istanbul. Après la rencontre entre Lia et Achi, leur voyage vers Istanbul occupe une bonne partie. L’explication vient de l’enfance du réalisateur qui a fait de nombreuses fois ce voyage, pour aller passer des vacances d’été à Istanbul. L’autre point franchement déconcertant, c’est que le scénario réserve une partie non négligeable où deux points de vue alternent, la progression de Lia et Achi avant puis dans Istanbul et les mouvements d’un personnage qu’on croit deviner comme étant Tekla étant donné l’importance prise par ce personnage à l’écran (proportions similaires à l’écran entre ce personnage et Lia pendant un bout de temps). On en vient évidemment à se demander quand et comment ils pourront se rencontrer et même si cela arrivera.
Or, quand la rencontre se fait, il s’avère qu’il ne s’agit que d’une fausse piste, même si elle permet à Lia d’avoir l’impression de s’approcher enfin de Tekla. Or, elle a beau s’accrocher au moindre indice, Lia n’arrive pas à remonter jusqu’à Tekla. Elle devra s’en remettre au hasard. On peut d’ailleurs au passage se demander si Lia serait en mesure de reconnaitre Tekla, personne transgenre.
Une grande partie du film se situe donc à Istanbul, que visiblement le réalisateur connaît et aime particulièrement. Il nous en fait sentir l’immensité et la diversité, ainsi que son ambiance. Lia et Achi y font de nombreuses rencontres et arpentent divers quartiers dans leurs recherches. On les voit manger, danser, chanter, s’inquiéter de deux enfants sans abri qui font la manche dans les restaurants, etc. La musique imprègne l’ensemble pour nous donner une idée des odeurs, des parfums. Les couleurs également ont leur importance, avec notamment celles de la nuit, sans oublier la noirceur des quartiers à l’écart. En suivant Lia et Achi, on se fait une idée de leurs personnalités (Achi trop bavard et expansif, Lia assez froide en apparence mais en réalité très sensible), du passé de chacun et on comprend mieux pourquoi des personnages transgenres viennent se perdre à Istanbul, ville immense où de nombreuses communautés se côtoient sans trop de heurts.
Le scénario (signé Levan Akin) donne une impression de liberté, comme si les personnages profitaient des opportunités qui se présentent à eux. La perplexité sur certains points est donc le prix à payer pour cette impression. La contrepartie tient dans les multiples surprises que le scénario ménage, tout en demandant de l’attention aux spectateurs qui réalisent progressivement ce qui se joue à l’écran. Exemple typique avec le fait que Lia et Achi viennent de la Géorgie (le film comporte des dialogues en géorgien, en turc et en anglais). La mise en scène joue la carte du naturel, en évitant tout effet tape-à-l’œil, ce qui permet de bien profiter de l’exploration d’Istanbul, le film donnant une bonne idée de sa diversité. Une crédibilité renforcée par les prestations irréprochables des acteurs. Tout cela donne l’impression d’avoir la chance de découvrir des lieux et des personnages comme seul ce film pouvait nous les présenter.
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Créée
le 8 déc. 2024
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