Le film est coupé en deux : on voit d'abord les champignons dans toute leur nudité crasse et l'horreur qu'ils incarnent. Le plus effrayant, c'est qu'on entend les assourdissantes déflagrations avec beaucoup de retard, alors même que la taille de l'explosion à l'écran est déjà extraordinaire... Et pourtant, on ne peut s'empêcher de trouver ça quand même drôlement joli ; voir comment le chapeau se soulève de la mer pour grossir harmonieusement une fois arrivé au sommet, c'est majestueux. Par la répétition (parce qu'on voit les explosions sous plusieurs angles), le regard se transforme déjà, l'effroi se mue insidieusement en contemplation. Sacré Thanatos.
Et la deuxième partie ne fait qu'accélérer la révolution copernicienne qui s'opère en nous, grâce à la musique atmosphérique et belle à se damner, signée Terry Riley, qui accompagne les footages des essais nucléaires : ça devient beau, tout simplement. Et à mesure que Conner laisse couler les plans, on observe le champignon qui finit par se fondre littéralement dans le paysage, on n'arrive plus à le dissocier des nuages, de l'océan, du monde qui le précédait et qu'il a pourtant irréversiblement défiguré.
Je suis pas certain de l'argument de ce film, la motivation derrière la démarche de Conner, peut-être une volonté d'inscrire la bombe comme geste esthétique ultime de l'Homme, ou alors de souligner la grandeur démiurgique de la bombe, cette Walkyrie du XXe siècle, ou peut-être bien simplement d'exorciser une peur primaire, en regardant droit dans les yeux la Mort, en l'acceptant comme faisant partie intégrante du cours naturel de la vie, et donc en admettre l'inhérente beauté. Enfin bon, je suppute, je suppute...