C'est une histoire vieille comme le cinéma : les gentils luttent, les gentils mettent un genou à terre, les gentils saignent, mais les gentils ne renoncent jamais et ouf!, in fine, les gentils gagnent et peuvent tranquillement jouir du repos des vainqueurs. La morale est sauve, les gosses sont heureux et soulagés, les caisses sont pleines et continueront encore à se remplir ; Hollywood est aux anges. Oui mais voilà, la postmodernité est venue allègrement contaminer cette recette, paresseuse mais toujours gagnante au box-office, avec son ironie mordante et son réjouissant goût du contrepied.
Mais que l'on s'entende : il ne s'agit pas ici d'un grand film et, à plus d'un sens, il serait plus juste de parler de semi-échec. Avant tout, parce qu'à deux ou trois exceptions près, les personnages sont profondément insipides et sans intérêt. La figure du super-héros est passionnante lorsqu'elle vient questionner notre propre humanité, lorsqu'elle se fait miroir de nos peurs et angoisses en tant qu'individus (c'est ce qui faisait la beauté des Spider-Man de Raimi, pour ne citer qu'eux). Or ici, difficile de déceler ce qui peut nous lier à un Thor, un Captain America ou une Black Widow, si ce n'est par des lieux communs de morale élémentaire (l'amour du frère, le sens du devoir, la rédemption, tout ça quoi), on ne peut plus contre-productifs puisqu'on ne peut plus irréalistes, bien loin de la complexité inhérente aux sentiments humains. Tony "Iron Man" Stark, dont le verbe haut et l'arrogance naturelle sont toujours aussi plaisants à suivre, et Bruce "the other guy" Banner (interprété par un Mark Ruffalo au diapason), qui a enfin réussi à me séduire avec son "je est un autre" revisité à la sauce colérique, sont les seuls à sauver de ce naufrage collectif, pas aidés il est vrai par des dialogues parfois très balourds. Le spectacle est là, mais le cœur n'y est en quelque sorte pas.
Cette insuffisance dans l'écriture dramatique importe pourtant bien peu, le film ne se jouant pas là, car ce que Joss Whedon maîtrise le mieux au monde, c'est la diffusion de la tension dramatique, nous plongeant dans le feu de l'action pour nous en extraire aussitôt, avec insolence et aplomb. Un exemple (spoilers!..) : nous sommes dans le dernier tiers du film, lors de l'ultime bataille, et l'affreux Loki entame le monologue éculé et convenu du "mouahahah, que je suis méchant !" à un de ces instants décisifs préfigurant la résolution de l'intrigue ; les nerfs sont à vif, notre concentration est maximale mais hop, pirouette cacahuète, le voilà devenu hochet humain de Hulk par la grâce d'un cut aussi inattendu qu'irrésistiblement drôle.
C'est dans cette irrévérence bon enfant, cette ironie salutaire pouvant surgir à tout moment de l'écran et faire exploser le sérieux qui n'est que de façade, dans ce plaisir sincère finalement de jouer avec le spectateur que Whedon réussit son film, parvenant à insuffler un ton léger et rieur à un genre qui en avait bien besoin.