J’ai eu envie de rédiger un petit billet sur ce film qui, parmi mes éclaireurs et assez globalement en France, est largement passé inaperçu. Assez étrange, vu l’expérience que le visionnage de cette œuvre représente.
Quoi qu’il en soit, parmi les gens qui l’ont vu, le film a beaucoup divisé, mais l’essentiel est de dire qu’il est difficile de rester impassible devant cette mise en scène si particulière. Moi, j’ai aimé. Pour le sujet, déjà très difficile, et pour la tentative artistique qui est accomplie par le réalisateur. Après le visionnage, le spectateur se sent perplexe, conquis, soulagé, enfermé, qu’importe, le choc est là.
Le déroulement de l’histoire, structuré par la narration des lettres écrites par l’épouse, défile avec les tableaux de plus en plus lents et figés que le réalisateur filme. Peu à peu, c’est un temps qui s’affirme comme suspendu, glacé au fil de la déportation qui semble développer une sorte de temporalité parallèle à la « vraie vie », la vie digne, la vie d’avant. Ces longues plongées dans un espace figé entraînent chez le spectateur une sorte de perte d’équilibre, un écho plutôt réussi à mon sens par rapport à la situation qui est présentée.
Le chemin vers le goulag, la séparation et le déchirement de la famille, tout cela peut être vu comme une brutale perte d’équilibre que la caméra nous rappelle sans cesse. Qui plus est, le noir et blanc va dans ce sens et semble toujours accentuer la perspective et le vertige ressenti, faisant s’imprimer chaque image figée en plein mouvement dans notre mémoire.
Plus le film avance, plus la question de ce que l’on est en train de contempler se pose : film, photo, tableau ? Difficile de trancher, difficile de classifier, difficile d’affirmer également que la classification est nécessaire. Pourquoi ne pas laisser l’œuvre comme ça, à son stade de création hybride et déroutante ? Elle n’en est que plus saisissante et l’on peut dire qu’il s’agit d’un parti pris risqué choisi par le réalisateur, un parti pris osé et vaguement téméraire sur les bords.
Enfin, au sujet de la durée, je l’ai trouvée bien choisie, un film pas trop long pour ne pas sombrer dans la prolifération de tableaux et dans un éventuel ennui ou une saturation du spectateur. Les images se font percutantes, détaillées sans donner la migraine.
Les acteurs, eux, deviennent touchants dans leur immobilité, dans les expressions figées et contribuent à faire de ces tableaux la fresque humaine d’une vie arrachée et jamais véritablement retrouvée.
Regardez donc ce film, jugez-le en considérant l’expérience qu’il vous fait vivre, quoi qu’il arrive je crois qu’il n’est pas creux ni vain, au contraire, finalement les partis pris sont presque aussi extrêmes que le régime qu’il dénonce et il ne reste qu’à se forger son propre ressenti face à ces choix. Le film est intéressant, pas extraordinaire, mais néanmoins intéressant.