Le Mal. Beaucoup s’amusent à le rabaisser, j’ai moi même dénigré des personnages que je décrivais comme "méchants pour être méchants", mais avec du recul, je pense que le problème vient du fait qu’on s’y limite. Un antagoniste qui veut devenir le mal a besoin d’un enrobage et d’un contexte, sans ça il devient une parodie de lui même, une anomalie qui n’a pas lieu d’être, d’où l’incrédulité vis à vis des méchants de films pour petits enfants, en les limitant à la méchanceté on les traite en ridicule (le fait qu’ils ne fassent rien de réellement impactant aide aussi). Alors qu’un personnage qui, dans un contexte, choisit le mal malgré tout, ça devient déjà plus intéressant. Pour moi, Cruella est un des rares antagonistes pouvant prétendre être ce mal ; de part sa posture dominante, limite royale, ses paroles et ses gestuelles aristocratiques cachant partiellement mépris et nonchalance et surtout un charisme clair qui laisse petit à petit place au monstre de haine squelettique qu’elle est. Ce mal est d’ailleurs très bien représenté par le jeu d’acteur juste parfait de Glenn Close dans la version live des "101 dalmatiens" de 1996. Elle sera même tant au dessus du reste dans ce film que l’affiche lui sera entièrement dédiée, ne laissant rien pour les autres acteurs ni même les chiens, pourtant centraux dans l’histoire. Je pense que si ce Cruella n’est pas canon (couleur de peu des personnages ou installations d’éléments rendant "les 101 dalmatiens" impossible) c’est en parti grâce à ce jeu d’acteur entre la folie du mal et le charisme bourgeois de Close, qui de par cela s’inscrit comme la seule et vraie Cruella, son seul défaut étant d’être oublié par le public à cause du temps. Et même sans compter ça, il suffit de voir le travail fait sur "Maléfique" pour comprendre qu’on allait faire de cette Cruella une martyre et donc la tuer. Ce Cruella ne pouvait être qu’un échec, et pourtant…
...Et pourtant on peut y voir une réussite. Contre toute attente, Cruella, fonctionne. Vous n’allez pas me voir sauter au plafond non plus en vous parlant de plus grand film de l’année, mais forcé de constater qu’une fois dans le film on se laisse facilement emporté par l’intrigue. On reconnaîtra cependant un ralentissement entre la partie enfant et la partie ou Cruella devient réellement elle même. Mais cette narration pourtant épisodique fonctionne, aidée par un montage rythmique. D’ailleurs ce rythme du montage, des musiques, de la narration, sert à mettre en avant cette ode à la débauche qui entoure toute l’œuvre. Cruella (le film) s’impose vite comme une lettre d’amour aux marginaux, aux dépravés qui comme Cruella (le personnage) ont tué leur Estella, symbole de bien séance qu’ils se forçaient à maintenir en société, pour devenir ceux qu’ils veulent être. C’est d’ailleurs par cette bipolarité (dipersonalité ? Schizophrénie ? Je sais pas exactement comment on doit l’appeler) que le film va essayer de nous recréer le mal...sans succès, mais nous y reviendront plus tard. Le film Cruella brille aussi par ses multiples créations de modes avec des tenues toutes plus impressionnantes les unes que les autres.
Le casting est brillant, même s’il peine parfois à suivre la dualité d’Emma Stone et d’Emma Thompson. Oui c’est vrai, j’ai oublié de le dire, mais Cruella affronte une sacrée adversaire. Ça pourrait être un atout de direz vous, surtout que ce duel est sans doute l’une des plus grandes réussites du film. Sauf qu’en fait c’est là que ça ne fonctionne plus. La Baronne plus que tout le reste est la preuve qu’on est face à un bon film mais un mauvais Cruella.
Cruella n’est ici pas le mal. C’est un fait. Si on définit le maléfique d’un personnage par sa faculté à choisir toujours le pire choix sans autres raisons que lui-même, alors ce film est un des plus grands échecs d’écriture de l’histoire du cinéma. Vous voyez, dans les films originaux (j’y inclus le remake live), si Cruella est prête à tuer des chiots c’est uniquement par plaisir personnel, elle le fait car elle considère qu’elle se trouverait belle dedans, elle mesure le poids de ses actes mais décide de le faire quand même ; on nous décrit ici un personnage profondément mauvais. Alors que dans ce Cruella, la société est contre elle (d’où le rapport constant à la débauche) ce qui la dédouane (en partie) de ses pires actions. Et même quand on ne la déresponsabilise pas, elle ne choisit pas forcément le pire choix. Sur l’affiche du film il y a marqué : "On ne devient pas une légende en étant gentille", moi j’aimerai qu’on m’explique ou celle-ci devient méchante, car la mort d’Estella pour Cruella n’est pas synonyme de retour du mal ; égoïste, hautaine mais pas méchante. Et c’est parfaitement symbolisé par ces fameux dalmatiens, qui marquent tout le diabolique de Cruella dans les précédents films. Elle a par deux fois l’occasion de les tuer, elle n’en fera rien. Elle fera même comprendre dans une réplique qu’elle ne les a évidemment pas tué, comme si ce n’était même pas envisageable. Et le pire c’est que cette absence de mal va être comblée par un autre personnage, marquant d’autant plus l’absence de celui-ci chez le personnage d’Emma Stone.
Alors oui, vous me direz que c’est une relecture du personnage, mais il faut garder les grandes idées qu’il véhicule . Et même sans compter le mal, il n’en garde vraiment aucune, à la limite la mode. On a vraiment une,vision édulcorée du personnage, limite poupée barbie. Je pense d’ailleurs que c’est l’une des raison d’Emma Stone dans le rôle principal au lieu d’une Eva Green par exemple, qui a beaucoup plus la tête et le passif d'acteur pour jouer d’une vraie Cruella. Et cette envie de faire référence au passé est aussi lié au jeu d’acteur d’Emma Thompson qui s’inspire beaucoup de celui de Close, ça se voit et ça se ressent tant elle est au dessus du reste du film. Elle n’hésite d’ailleurs pas une seule seconde à embrasser le mal : violence physique et mentale, harcèlement, meurtre et tentative d’homicide pour ne citer qu’eux et je ne parle pas du fait que l’idée du meurtre des chiens ne l’affecte pas plus que ça, elle est plus préoccupée par le symbole que cela renvoi.
La baronne dépasse tellement Cruella que le scénario se voit obligé de créer cette idée d’hérédité, comme pour essayer de lui donner un soupçon de mal. Donc Cruella, Anti-héroïne ? Surement. Mais maléfique ? Aucunement. J’irai même jusqu’à dire qu’à la fin, en se débarrassant du mal, Cruella devient presque une héroïne. La victoire de Cruella, c’est la défaite du mal, et donc paradoxalement la défaite de Cruella.
Même si beaucoup y trouveront leur compte, il ne faut pas oublier que Cruella est un échec, un bon film mais un échec cuisant dans l’idée de rendre hommage au personnage machiavélique et monstrueux qu’est Cruella d’Enfer