Alors que l'on pourrait penser que Cruella n'est qu'un nouveau film-live de chez Disney, nous avons pourtant affaire ici à quelque chose de bien plus sérieux, de bien plus alarmant. Nouveau reflet de ce qu'est à l'heure actuelle le cinéma, le long-métrage abat clairement toutes les cartes de l'empire Disney, grand maître absolu du divertissement qui pousse ici les potards à fond.
Des qualités, Cruella en a sous le capot, c'est évident. Yes-man touche-à-tout qui a réussi à époustoufler tout le monde avec son Moi, Tonya en 2017, Craig Gillespie livre ici un long-métrage visuellement réussi dans l'ensemble, recréant avec malice le Londres des seventies, soignant autant les décors que sa mise en scène (dans l'ensemble), utilisant avec parcimonie des CGI pour proposer un rendu finalement attrayant (dans l'ensemble). Il y a une certaine fougue dans le film, quelques envolées et un ou deux passages vraiment réussis à défaut d'être pleinement originaux. Emma Thompson est parfaite en antagoniste exécrable. Ça, c'était les qualités.
Scénarisé comme un mélange de comédie anglaise à la sauce américaine, Cruella va dans tous les sens, du film de filles à la satire gentillette en passant par le film de casse, le slapstick et même le revenge movie . Prequel au film de 1996 (unique film où Cruella officie dans le monde de la mode), essayant comme le Maléfique de Robert Stromberg à rattacher les wagons de la franchise tout en proposant une histoire originale visant à rendre sympathique une méchante Disney et donc en retirer toute sa substantifique moelle, le long-métrage s'avère en bout de course vain, amusant le temps de quelques scénettes mais fatigant, ringard en toute fin de bobine et, comme notre héroïne, terriblement malhonnête.
Disney l'a compris : il faut vivre avec son temps. Paradoxal pour un film qui exploite une œuvre ressassée sous toutes les coutures depuis des décennies. Pour autant, il continue de caresser le spectateur dans le sens du poil en modifiant les couleurs de peaux et les appartenances sexuelles, en vulgarisant ses propres icônes, en recréant à sa guise une culture qu'il ne maîtrise pas. Ainsi, le premier personnage ouvertement gay "créé" par Disney est un couturier efféminé, la "cruelle diablesse" que l'on aimait détester est en réalité une peste qui a trouvé plus peste qu'elle et qui, de surcroit, est désormais un modèle aux jeunes faibles d'esprit qui souhaiteraient s'identifier à elle. Chapeau bas Disney.
Se croyant plus avant-gardiste que les autres, la firme aux grandes oreilles s'entête à se ridiculiser, entraînant avec elle une autre figure mythique de son propre cinéma, ici par le biais d'un film qui se voudrait subversif et qui pense que faire pleurer une roulure en fait une anti-héroïne de première classe, qui appuie la temporalité de son récit par des chansons clichés de ladite époque (c'est le même studio qui a pondu Captain Marvel, pas de surprise à ce niveau-là) et qui en oublie toute efficacité perdurable au profit des dernières modifications culturelles mises à sa disposition.