Cruella nous donne l’impression d’assister à une longue introduction qui n’en finirait pas, multipliant les péripéties qu’explicite inutilement une voix off décomplexée comme le veut le diktat du second degré contemporain. Aussi le long métrage est-il à l’image de sa réalisation : inutilement ivre et grisé par sa propre ivresse visuelle, sans pour autant composer de mise en scène véritable. Les travellings, les plans aériens, le mouvement constant d’une caméra réelle ou numérique, tout cela n’apporte rien ni à l’intrigue, ni au développement des personnages, ni à l’installation d’un univers particulier. La virtuosité est recherchée pour elle-même et, en ce sens, s’autodétruit.
Se suivent et se ressemblent une suite d’acmés constamment tendus vers un ralentissement qui jamais n’advient ; la précipitation crée de la lassitude pour un spectateur qui ne se laisse pas duper par les coups de théâtre mal amenés et grotesques. C’est que les personnages, malgré leur temps de présence à l’écran, demeurent artificiels, tout comme la naissance d’une styliste dont le génie résiderait dans sa démesure et sa quête de vengeance : nous ne la voyons jamais à l’ouvrage, seulement revêtir fièrement des costumes que le réalisateur ne sait pas immortaliser à l’écran, auxquels il ne confère aucune grâce, aucun charme.
Nous sommes loin du personnage de Joker dans la version de Tim Burton (Batman, 1989), loin du fou torturé dont la pulsion créatrice se doublait toujours d’une pulsion destructrice. Emma Stone n’est pas Jack Nicholson, et l’actrice, mal dirigée, ne convainc guère : elle paraît sans cesse surjouer, exagérer ses traits, forcer sur sa voix pour construire un personnage qui ne lui convient pas. Ajoutons à cela une défilade de chansons clichés, qui rappelle une playlist de soirée de mariage populaire, et une incapacité profonde à susciter le rire, et nous obtenons un produit inutilement long en engoncé dans une forme qui dégrade la virtuosité visuelle en cachet industriel. Seule vaut, finalement, la partition musicale que signe Nicholas Britell.