De prime abord, Cruising semblait avoir tout ce qu’il fallait pour s’imposer à l’orée des années 80 : William Friedkin était alors à son apogée après The French Connection et The Exorcist (voire même Sorcerer, alors injustement boudé), tandis qu’Al Pacino, consacré chez Coppola ou encore Lumet, faisait déjà figure d’étoile du cinéma hollywoodien. Bien qu’initialement dévolue à Steven Spielberg, cette adaptation du roman éponyme de Gerald Walker n’avait ainsi pas grand-chose du film de commande… exception faite qu’il s’agit d’une déception pour l’essentiel.
Ce qui est assez surprenant au regard de ses atouts, d’autant que son registre de polar amplement psychologique, assorti d’un décorum sujet à controverse (comme de juste), tenait de l’eau bénite pour Friedkin : l’exécution laisse toutefois à désirer, au point d’amoindrir le climat poisseux et insécurisant de l’enquête de Steve Burns, propulsé sous couverture dans le milieu « trouble » du SM gay new-yorkais. Un constat largement imputable à la prestation en-deçà d’Al Pacino, étonnamment amorphe au point de paraître peu (ou mal) impliqué dans le schmilblick, tandis que le cinéaste n’est pas exempt de tout reproche : la narration alterne entre confusion et désincarnation, échouant de la sorte à nous ferrer d’un bout à l’autre.
Un paradoxe à l’aune de brillantes séquences, sa mise en scène conférant aux crimes de son assassin une atmosphère plutôt grisante, à rebours de la descente aux enfers si particulière de son poursuivant. Propice au malaise contagieux, Cruising ne nous laisse donc aucunement indifférent en dépit de ses errances, son scénario tentant bien d’altérer sa propre réalité au travers d’un dénouement faussement ouvert, ultime fulgurance entérinant d’étranges velléités. D’ailleurs, comme tout un symbole, son face à face final entre ses deux antagonistes échouera d’abord à concrétiser sa tension sous-jacente, énième preuve d’un potentiel dramatique et hypnotique inachevé.
Cependant, dans la droite lignée de son statut controversé (en partie à tort), Cruising constitue un marqueur très intéressant d’une époque et contexte marginale : malgré nos réserves quant au jeu d’Al Pacino, difficile de ne pas se prendre au « jeu » de séduction imposé par un théâtre à nul autre pareil, où tout un chacun pourra mesurer les dilemmes subis par Burns. En résulte in fine un thriller atypique comme perfectible, valant le détour tant pour ses qualités que ses tentatives de nuances maladroites.