Connaisseur de ce qui frustre et met mal à l'aise, William Friedkin a décidé d'offrir à ce film, au visionnage somme toute classique, une absence de fin concrète qui le livre à toutes les interprétations possibles.
Un film classique car, soumis au puritanisme de son pays, Friedkin réalise ici une enquête policière d'infiltration (en ne choisissant pas Al Pacino - brillant et physique comme toujours - pour rien, lui qui fut le modèle du policier infiltré et trouble grâce au Serpico de Lumet) comme on en a vu beaucoup et comme on en verra aussi beaucoup par la suite, qu'il plonge, c'est certes original, dans le milieu underground et select (l'inscription "Members Only" sur la porte du club...) du sado-masochisme gay dont il désamorce (il en fut bien obligé s'il ne voulait pas voir son film être classé pornographique) tout le contenu trash et glauque à l'aide de cadrage bien calculés et de symboliques interessantes. Au visionnage donc, le film ne semble qu'un banal film d'enquête, original par son seul sujet (une série de meurtres d'homosexuels) et, à le voir aujourd'hui, on ne peut que le trouver un peu vieilli (sur la vision de nos jours bien différente de l'homosexualité, et plus cinématographiquement, sur le manque d'immersion donc de réelle création d'angoisse du film, la faute à une photographie trop figée et à un jeu d'éclairage trop propre, trop blanc - là où un Gaspar Noé par exemple aura donné l'immersion totale et malsaine à souhait dans ce même milieu avec l'ouverture de son Irréversible, immersion jusqu'à la nausée, soit dit en passant.).
Mais on ne peut quitter le film sans un certain trouble qui nous travaille et ne nous lâche jamais vraiment : que signifie cette fin ? Sur quoi nous ouvrirait-elle ?
Car la fin ne semble qu'obligatoire et de fait purement forcée, factice.
Le tueur ne semble pas vraiment être celui que l'on recherche (ce n'est ni la voix que l'on entendait en hors-champs ni le visage dont ne se dessinait que le profil derrière des lunettes noires). Ce jeune homme semble trop propre, trop simple pour être uniquement motivé par son défunt père à tuer des gays (que penser d'ailleurs de ce coup de fil que passe le père au personnage de Pacino, complètement passé à la trappe au début du film ?). Cette conclusion, cette fin de l'enquête n'est que purement formelle et permet de clore une enquête qui n'était au fond pas l'objet réel du film.
Que signifierait donc ce troublant regard caméra final que vient seulement briser le passage placide d'un bateau dans la baie de ce New-York qui décidément, dépeint comme il l'est dans les films de ces années 70-80, ne donnerait envie à personne ?
Steve Bugs se regarderait-il dans la glace comme il regardait le jeune homme, le prétendu tueur, à travers sa fenêtee ?
Les rôles s'inversent, tout se trouble, et le film nécessiterait un deuxième visionnage dans la foulée pour mieux plonger dans l'ambiguité que nous propose Friedkin, car toute la quête d'indentité que paraît métaphoriser entièrement la finalement bien anecdotique et secondaire enquête, pourtant postulat de base du film, semble bien se jouer dans ce cocon familial, dans les bras de cette Karen Allen qui, dans un rôle en apparence minime et purement utilitaire, se fait clef de l'énigme, et garante de la prétendue identité (sexuelle) de notre héros, qui permet tout aussi bien à Friedkin de soulager ses pulsions scopiques frustrées par la censure de son temps et de son pays en montrant enfin du sexe, une sexualité répétitive et mécanique certes, mais hétéro.
Tout semble ici se jouer entre les frustrations d'une quête d'identité troublée et troublante et une ingéniosité de mise en scène pour contourner les censures.
Le cinéma en tant que tel n'est donc jamais sans rapport du propos fictionnel qu'il sert. Et ce film, troublant à bien des égards, nous le prouve admirablement.