Évoquer le personnage de Clint Eastwood dans une société occidentale contemporaine et malade reviendrait presque à sortir une boussole de sa poche pour en retrouver le nord. Le réalisateur de Cry Macho est un formidable anachronisme d'environ 1m93 qui n'aura eu de cesse au cours de sa filmographie de nous ramener à l'essentiel. Eastwood est le père spirituel des boomers, le John Ford des cinéphiles actuels, la figure du cowboy la plus identifiable après celle de John Wayne. Wayne, d'ailleurs, qui en 1976 passait le témoin à Clint par l'entremise d'un réalisateur commun : Don Siegel. Autrement dit, Le Dernier des géants aurait pu être le titre de cette critique.


À partir de ce témoignage cinématographique du passé, il ne peut y avoir d'équivoque quant à la nature et la fonction d'un film comme Cry Macho. Primo, il faut prendre conscience que nous abordons le seuil critique de la carrière d'un artiste nonagénaire. Deuxio, ce même réalisateur achève le portrait du cowboy perfectible post moderne dans un cadre rural entamé avec Bronco Billy, HonkyTonk man et poursuivit dans Un monde parfait. Tertio, il contredit les propos de Quentin Tarantino sur la volonté de terminer une filmographie parfaite afin de graver son nom dans le marbre.


L'intention du réalisateur d'Impitoyable n'est pas de soigner son image mais de délivrer son film aussi perclus de rhumatismes soit-il à un âge...canonique. Alors remballons les sarcasmes de ceux qui n'attendent que la chute du Maître (il y en a) pour se concentrer sur l'oeuvre fatiguée mais sincère ici présente. À l'heure où ces lignes sont écrites, impossible de savoir si Cry Macho finalisera l'oeuvre d'Eastwood. Si ce n'est pas le cas, il en constituera à coup sûr l'un des derniers chapitres de la même manière qu'Hitchcock avec L'Etau ou Ford avec Les Cheyennes. Dans ces conditions, aborder cet opus avec en tête qu'il s'agit de la dernière tournée offerte par l'ex-Dirty Harry a de quoi ébranler ceux qui s'abreuvent directement à la source depuis plusieurs décennies. Et c'est une chance de toujours croire en son intégrité artistique puisque Cry Macho se sert à loisir dans les oeuvres les plus représentatives de son auteur : Le vieux cowboy revenu de tout dans une thématique cousine de celle d'Impitoyable et la jeunesse au contact d'une nouvelle paternité sortie tout droit d'un Monde Parfait. Si le petit dernier se revendique d'un tel pedigree, c'est aussi pour rappeler que son auteur doté d'un âge très avancé convoite une nouvelle facette moins rugueuse à l'égard de son personnage de cowboy râleur. Cry Macho a comme dessein, la double tâche de rendre crédible le vieux Clint de retour sur le terrain mais également de jongler avec l'exercice méta consistant à regarder droit dans les yeux le William Muny de Unforgiven et le Preacher de Pale Rider et de les attirer vers la lumière. Une sage décision de la part d'un réalisateur en paix avec lui-même et prêt à en terminer sereinement avec l'hiver de sa vie. Car s'il est difficile de réprimer ses émotions lorsque la camionnette de Mike Milo (Eastwood) entre dans le champ au son d'un vieux tube des sixties, la réalité de l'entreprise va rapidement ramener le spectateur sur terre en lui glissant doucement à l'oreille que "le cinéma est un sport de jeune homme". Une affirmation que le cinéphile averti n'avait pas encore à l'esprit lors des sorties rapprochées de La Mule et de Le Cas Richard Jewell.


L'affaire se complique avec Cry Macho qui révèle des failles insoupçonnées dans les entrailles de sa conception. Peu importe qu'Eastwood ait tenté un "Impitoyable light", le film shooté par le talentueux chef op' Ben Davis remet constamment le train sur les rails. Il n'en demeure pas moins que sa substance scenaristique se déverse lentement sans renouveler l'excellence de l'anti-american Hero dépeinte dans les opus précédents. La rapidité d'exécution si chère au cinéaste fait ici cruellement défaut. On passe au travers du jeu approximatif de son jeune acteur mexicain en roue libre tout comme il est difficile d'encaisser les toussotements d'une écriture ne sachant réellement choisir entre la traque et la famille recomposée. Les fondamentaux à peine respectés, comment se projeter sans retenue dans l'aventure ? La carte Maîtresse, véritable remède aux écueils en pagaille, en est toujours son interprète principal. La vieille carcasse du cowboy se trimballe sans être trop inquiétée par l'hostilité des alentours. Tant mieux pourrait-on dire, les mexicains se révélant plus bienveillants qu'hargneux vis à vis de notre gloire Hollywoodienne, lui évitant ainsi un enterrement de première classe.


Si Cry Macho tremblote sur un plan cinématographique, c'est sur une orientation géographique (et politique?) qu'il surprend le plus. Les trois dernières interprétations de Clint Eastwood sur le sol de L'Oncle Sam auront encore ses faveurs. Le vétéran Kowalski, ex-soldat de la guerre de Corée, acceptait la métamorphose culturelle de son pays dans un Gran Torino victorieux. Gus Lobel, recruteur de joueur de baseball vieillissant passait la main dans Une nouvelle chance de Robert Lorenz. Earl Stone glissait en douce de la drogue au Mexique dans La Mule, un film qui animait un peu plus les conflits entre les deux territoires. Ainsi, après avoir sillonné la moitié des États et d'avoir autant fait corps avec le folklore des E.U., la légende s'en est allée. Il est étonnant de constater que le réalisateur de Cry Macho décide, au sein de sa dernière fiction, d'établir son personnage au coeur d'un Mexique apaisé loin de toutes contraintes. Un repos bien mérité pour notre vieux héros las des empoignades à répétitions laissant une multitude de questions en suspens qui n'auront certainement jamais de réponse quant à cette migration soudaine. Clint ou le lonesome cowboy bien mieux loin de chez lui.

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le 9 nov. 2021

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