Après avoir vu ce film, son titre m'intrigue d'autant plus puisqu'aucun personnage ne semble guérir, au contraire, ils semblent de plus en plus malade, cheminant inexorablement vers le meurtre. Nous sommes donc prévenus de la vision très pessimiste de l'humanité moderne que porte le film.


Le décor est planté dans une urbanité des plus déprimantes, accompagnée d'un bruit sourd quasi omniprésent qui renvoie les personnages à leur propre enfermement (la ville est ici la métaphore de nos vies contemporaines, prisonnières d'identités creuses). Cette ambiance de huis-clos filée tout au long du film, avec ses usines vides aux murs défraîchis, ses murs d'hôpitaux blancs maculés par un sang mystérieux, nous rappelle Tarkovski à maintes reprises (surtout la fin du film qui perd volontairement le spectateur dans un enchaînement de plans sur le protagoniste (inspecteur) seul et enclin à la pulsion meurtrière). Mais elle permet surtout de refléter le propos du film : notre violence face au vide vertigineux et accidenté de notre intériorité. (Donc fond et forme coïncident parfaitement)


Mais au-delà de ce que nous dit le film, c'est la manière dont il nous le dit qui est assez brillante. La focale se resserre de plus en plus sur les deux personnages principaux (l'inspecteur et un ancien étudiant en médecine fasciné par le magnétisme animal de Mesmer, qui se fait passer pour un amnésique et en profite pour hypnotiser ses victimes, qu'il pousse au crime), alors qu'il débutait sur un florilèges de victimes assez touffu. Là où le film bascule vraiment à mon sens, c'est au moment de l'interrogatoire de ce pseudo amnésique-hypnotiseur où les rôles s'inversent : l'inspecteur est confronté à des hypothèses infructeuses, des apories sur le plan du réel et de la rationalité (marqué par ces décors vides de sens, ces singes morts), il est comme prisonnier de quelque chose qui le dépasse et devient en un sens, l'accusé. Mamiya (l'amnésique) devient un inspecteur des âmes bouleversant toutes les personnes à qui il adresse la parole. Face à lui, deux réactions : le malaise jusqu'à la crise et la confession, ou bien la léthargie suivi du meurtre. Mamiya, figure hautement allégorique confronte, avec une irrévérence irritante, les personnages à leurs propres gouffres : nous refusons de faire face, comme cet inspecteur qui dit devoir s'affranchir de tout penchant émotif, au caractère tragique de l'existence.


Enfin, le travail des formes signifiantes se révèle très subtile puisqu'ils sont l'objet d'un véritable traitement plastique : eau, sang et feu sont les pivots de l'expérience hypnotique. On peut penser à l'écran de plasma, qui introduirait une dimension méta-cinématographique au film qui serait comme une séance d'hypnose; mais aussi au titre "cure" qui pourrait être cette eau lustrale qui bien loin de nous guérir réellement nous fait éprouver notre vide interne. On pensera également à la scène magnifique où la flamme du briquet de Mamiya est éteinte par une pluie à l'intérieur même de sa cellule, évoquant un photogramme célèbre du Miroir de Tarkovski.


Seuls """points faibles""" : peut-être un chouïa trop long, mais c'est contemplatif et très bien filmé donc on pardonne. Et comme dans beaucoup de thrillers japonais ou coréens, je suis parfois un peu agacé (comme l'inspecteur apparemment) par ce personnage à clé qui force sur la psycho-philo.

Martin_cch
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Martin_cch

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