L’intérêt de consacrer un film à Pierre Louÿs et sa muse réside peut-être moins dans la volonté d’éclairer d’un jour nouveau un artiste controversé et plutôt méconnu que dans la construction d’une histoire d’amour scandaleuse où le scandale serait partagé entre l’homme et la femme, serait introduit par lui puis prolongé et sublimé par elle. Marie de Régnier ne se présente jamais comme soumise au poète et photographe, seulement dépendante de lui comme d’un amant dont elle ne peut se passer : sa libido en dépend. Dans les bras et sous les flashs de Louÿs, la femme explore son désir sexuel en lui laissant libre cours ; elle découvre son corps et le potentiel érotique qu’il contient ; elle s’épanouit et devient autrice, soucieuse de partager cette expérience de dépossession et de reconquête de soi par les mots et ce à quoi ils renvoient. Lou Jeunet met en scène l’érotisme comme un art légitime et qui n’a rien à voir avec la pornographie, dont la finalité n’est plus esthétique mais platement sexuelle.


Ce faisant, la réalisatrice refuse de disqualifier les passions éprouvées par Louÿs et son entourage au nom d’une quelconque morale : elle ne les juge pas, non elle communique et communie avec eux par l’art. Car son film est aussi iconoclaste que les mots et les images conçus par l’auteur des Chansons de Bilitis. Pour restituer l’esprit plein de décadence fin de siècle marqué par le goût pour la mystification, Curiosa rassemble les contraires et cultive les contrastes : certaines séquences tutoient l’onirisme et sont portées par une musique électronique envoûtante qui semble se nourrir de la jeunesse des personnages. Il y a une vraie impertinence, tonale d’abord, figurative ensuite, puisque la nudité est explicite, frontale, crue. Belle.


Lou Jeunet ne justifie rien, elle se propose de partager une fascination pour le corps et les variations imgagogènes que la lumière exerce sur lui. On en ressort amoureux d’une actrice – formidable Noémie Merlant – et d’un acteur – formidable Niels Schneider –, amoureux de l’humain ici croqué avec volupté et talent.

Créée

le 19 mars 2020

Critique lue 3K fois

6 j'aime

Critique lue 3K fois

6

D'autres avis sur Curiosa

Curiosa
Jack_Abitbol
4

Curiosa : coquins, cocus, et Cie

Le risque d'écrire un texte sous ce titre exquis est patent mais je décide d'en faire fi au mépris de tout bon sens. Malgré une note qui peut paraitre un peu sèche de prime abord, en quelques mots je...

le 6 avr. 2019

10 j'aime

Curiosa
Dagrey_Le-feu-follet
6

Curiosa erotica

Pour éponger les dettes de la famille, Marie de Heredia épouse le poète Henri de Régnier, mais c’est Pierre Louÿs qu’elle aime. Pierre est poète, érotomane et grand voyageur. C’est avec lui qu’elle...

le 9 avr. 2019

9 j'aime

Curiosa
Moodeye
5

Le serpent qui danse au bout d'un bâton


Cette critique et plein d'autres sont disponibles sur
https://www.epistemofilms.fr/ avec des photographies. Cette proposition est susceptible de heurter la sensibilité des personnes n'ayant pas...

le 4 avr. 2019

7 j'aime

2

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

89 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

78 j'aime

14