La première fois que j'ai vu ce film ça devait être à l'époque où je louais des VHS à ma bibliothèque municipale, donc il y a plus de 10 ans. Ça reste une époque où à cette même bibliothèque j'ai pu découvrir des monolithes tels que, par exemple, Underground d'Emir Kusturica, L'anguille de Shohei Imamura et Le goût de la cerise d'Abbas Kiarostami (tiens tiens, 3 Palme d'Or des années 90), tous en VHS doublés en français (sauf le Kiarostami qui était sous-titré si ma mémoire d'éléphant ne me trompe pas).
Avant de le revoir, je me rappelais de quelques bribes, surtout cette scène d'une magnifique mélancolie où jouais "Creep" de Radiohead (c'est probablement ce film qui m'a fait découvrir le désormais célèbre groupe britannique). Sinon, toujours dans mes souvenirs, c'était un peu lent et que le doublage ne semblait pas foireux. C'était doublé par des vietnamiens francophones me semble-t-il (ou des français prenant l'accent asiatique?).
Maintenant, je le revois en format numérique en version originale sous-titré en anglais à un âge où je suis moins impressionnable et où mes goûts sont à la fois hétéroclites et définis. Ce que je redécouvre est un bien jolie film, malgré des séquences pour le moins glauques. Si au départ on a un récit classique de gens socialement vulnérables essayant de survivre dans la rue avec les aléas d'activités criminelles qui pourraient tomber dans la naturalisme, l'intérêt du cinéaste fini par se voir dans une suite de scènes impressionnistes où le sensuel et le contemplatif remporte sur le factuel.
Que ça fait du bien d'entendre un travail sonore aussi calme où l'on peut passer d'ambiance urbaine à une ambiance qui se rapproche de la jungle. Pour quelqu'un qui a déjà passé des nuits blanches pour entendre le premier chant des oiseaux aux petites heures du matin, je ne suis aucunement insensible à ce type de détail quand j'écoute un film. D'autant plus que le calme sonore ne fait que rendre les moments de violences beaucoup plus senties.
Visuellement, c'est très expressif sans être maniéré et ça apporte beaucoup de beau moments lyriques et sensuels, avec un rythme posé comme je les aime. On est à la fois entre le traitement dit naturaliste de la caméra à l'épaule et des plans un peu plus esthétisant, mais qui étrangement n'entre pas en dichotomie, c'est même harmonieux je trouve. On joue beaucoup avec la matière/texture que ce soit avec de l'eau, la peinture, la terre, la peau, les cheveux, le feu et j'en passe. Même si ce n'est pas un détail dominant, ça fait du bien aussi de voir des personnages cuisiner. De plus, je suis content de voir un film qui n'est ni amorphe ni stérile dans sa présentation de la vie urbaine. Ce qui le rend tout vivant, presque tactile.
Si visuellement c'est expressif sans être maniéré, il en va un peu de même pour les personnages/sujets (j'aime bien utiliser des expressions de peintres) où de par leur présence ils deviennent beaux. Mis à part le rôle cliché de Tony Leung Chiu-wai, le bandit/proxénète au coeur sensible (mais l'acteur confirmé qu'il est, fini par me convaincre), les deux protagonistes, Le Van Loc et surtout Tran Nu Yên-Khê, sont beau à suivre, même dans leurs déboires interlopes. Concernant ladite scène de "Creep", l'impact est resté sensiblement le même, ça m'a probablement beaucoup plus ému maintenant. Comment dire... Faut voir ces regards! Pas besoins de mots, tout y est communiqué par les regards: le désir, le regret, l'envie, la tristesse et j'en passe. Ce qui me fait penser que même sans sous-titres (voir complètement muet), c'est un film que l'on peut aisément suivre. Après, si je dois trouver un petit défaut, j'aurais bien voulu voir un peu plus de développement chez certains personnages secondaires, mais vu la sensualité de la forme je pardonne aisément ce manque scénaristique.
Après tout, c'est une joie particulière de redécouvrir un film que je ne soupçonnais pas de l'adorer autant. Parce que, pour être honnête, je n'ai pas peur de réécouter des films, mais je remarque souvent que je réécoute des films médiocres, sans doute pour le plaisir morbide de la chose ou par masochisme inoffensif ou encore simplement pour passer le temps. Quoiqu'il en soit, si les plus récents films de Tran Anh Hung ne m'intéressent plus ou moins, je dois avouer que le titre de son premier film, L'odeur de la papaye verte, interpèle beaucoup l'épicurien en moi. Ce sera un rendez-vous qui, j'espère, ne saura tarder!