Même si, d'après mes tablettes, j'ai vu plusieurs films du cinéaste britannique Alexander MacKendrick, je dois dire qu'il n'y a guère que "Cyclone à la Jamaïque" dont je me souvienne.
Parce que ce film est étrange. Étrange et obsédant.
Le côté étrange, j'en ai trouvé une explication. Le film aurait inquiété les producteurs qui auraient exigé des coupes d'une vingtaine de minutes au global sur une durée de cent minutes. Ce n'est pas négligeable. Certaines parties du scénario auraient même été modifiées au montage. D'ailleurs MacKendrick ne s'en serait globalement pas relevé, considérant que son œuvre était dénaturée.
Effectivement, la fin m'a toujours paru très abrupte sur un retour à la normale peu en phase avec la tonalité de l'ensemble du film.
Il est tiré d'un roman de Richard Hughes (1929) que je ne connais pas et qui a connu un énorme succès : c'est l'histoire d'enfants enlevés par des pirates dans la mer des Caraïbes au XIXème siècle.
Pour résumer le scénario, on pourrait dire que les six enfants d'une famille de planteurs (des colons, en fait) vivent en complète autarcie à la Jamaïque, au milieu des noirs travaillant sur la plantation. Ce qui effraie la mère, c'est que les enfants, non seulement marquent une fascination pour les rites Vaudou, mais peu à peu les adoptent naturellement. À la faveur d'un cyclone très dévastateur, elle obtient de son mari que les enfants retournent en Angleterre pour retrouver une civilisation plus propice à leur éducation. Seulement voilà, des pirates s'emparent du bateau et récupèrent, à leur insu, ces enfants.
Alors que l'équipage des pirates considèrent ces enfants comme source de malheur, le brutal et frustre capitaine, Chavez, semble s'humaniser à leur contact. Particulièrement, auprès d'une petite fille, Emily.
De ce que j'ai écrit ci-dessus qui n'est jamais qu'une histoire de pirates avec des enfants, deux idées – insolites - dominent : le rapport du monde de l'enfance face à celui des adultes et le rapport du monde de l'enfance face à la mort.
Le film commence très fort par cet impressionnant et terrible cyclone qui dévaste tout, superbement filmé. Où on découvre cette petite Emily chercher son chat, grimper aux arbres pliés par la tempête, au désespoir de son père à qui elle échappe tandis que les autres enfants se mêlent aux noirs en train d'invoquer les esprits pour calmer l'ouragan. Lorsque le calme revient, le contremaître noir est retrouvé écrasé par une poutre et les enfants entament une danse rituelle autour du cadavre tandis que la mère prie selon le rite anglican. Ce mélange (cette rencontre) des croyances est assez fascinant. En quelque sorte, tout se passe comme si les enfants échappaient au pouvoir de leurs parents.
Plus tard, dans le film, sur le bateau pirate, la même petite Emily suivra du regard, sans un mot, les faits et gestes du capitaine Chavez, semblant lui délivrer de muets reproches ou captant son attention pour l'amener, pourquoi pas, à comprendre (ou pénétrer ?) le monde des enfants.
Le jeu de ces deux acteurs est sensationnel (au sens premier du mot). C'est là, aussi, que j'ai employé au début, l'adjectif "obsédant", car longtemps après avoir vu le film, on se souvient de ce regard pensif, attentif, fasciné et finalement, adulte. Je ne peux m'empêcher de penser au poème de Hugo où "l'œil était dans la tombe et regardait Caïn".
L'acteur qui joue le rôle du capitaine, c'est Anthony Quinn. Il passe son temps à tempêter, à gueuler, à frapper (les pirates) mais quand il croise le regard d'Emily, tout un édifice s'effondre et un cœur s'entrouvre. Un très beau rôle magistralement mené.
Quant au personnage d'Emily, l'actrice a pour nom Deborah Baxter. Elle avait 10 ans lors du tournage. Cette actrice joua dans "le lion et le vent" (John Milius) dix ans plus tard puis arrêta le cinéma. En tous cas, ici, c'est superbement joué.
Le film n'est pas sans rappeler "les contrebandiers de Moonfleet" de Fritz Lang dans cette étrange relation qui s'établit entre un enfant (innocent et candide) et un personnage peu recommandable.
Reste à évoquer le reste du casting où on découvre James Coburn en second du bateau des pirates et, surtout, Lila Kedrova en patronne d'un bordel et amie des pirates. Mais ce sont des petits rôles comme d'ailleurs, celui, presque un caméo, de Gert Fröbe.
Pour conclure, ce film reste un superbe film d'aventures avec un travail de mise en scène efficace que ce soit le cyclone ou le tournage sur le bateau.
On peut regretter très certainement le charcutage du film imposé par la production qui aurait certainement approfondi le scénario et les personnages et aurait, peut-être conduit à un véritable chef d'œuvre.