Une excellente surprise que ce crossover improbable des deux Gascons !
Je m’attendais naïvement à ce que ce film soit une suite des aventures respectives de D'Artagnan et de Cyrano ; mais non, il ne prend pas place après les évènements des Trois Mousquetaires et de Cyrano de Bergerac, mais se positionne plutôt comme une relecture alternative des deux mythes, qui se rencontrent ici à l’aube de leurs deux histoires : ainsi, le film s’ouvre sur D'Artagnan qui monte à Paris rejoindre les mousquetaires (où il y rencontrera Tréville et les Trois fameux) mais, plutôt que de devenir leur gars sûr puis vivre l’aventure qu’on lui connaît, va plutôt s'acoquiner ici avec Cyrano et vivre avec ce dernier une aventure inédite.
Et quelle aventure, mes enfants ! J’avoue que je ne m’attendais pas à me fendre autant la poire devant ce film. Le temps de me faire aux deux interprètes (Cyrano ayant pour moi par défaut – et à jamais certainement – le visage et la voix de Depardieu d’une part ; et n’étant pas un grand amateur du père Cassel en temps normal d’autre part – mais il est ici très bien dans le rôle de D'Artagnan tout compte fait), je me suis ensuite bien éclaté, le film étant d’une générosité assez réjouissante dans son délire, tout en ayant le bon goût d’honorer les deux forces respectives à mes yeux des deux bouquins qu’il croise (et que j’ai lus, oui monsieur), à savoir la franche camaraderie des Trois Mousquetaires, et l’insolent panache de Cyrano de Bergerac : ces ingrédients m’ont fait adorer lesdits bouquins, et je les ai retrouvés ici. A la bonne heure ! Alors la camaraderie du premier se joue ici entre D'Artagnan et Cyrano (en lieu et place du trio Athos, Porthos et Aramis – qui ne font qu’une apparition) mais qu’importe : l’esprit y est ! Et le verbe flamboyant de Cyrano aussi, le film ayant par ailleurs le bon goût d’être en (conséquente) partie dialogué en alexandrins (je ne réponds pas de leur systématique rigueur cela dit, croyez-le ou non mais j’ai pas passé ma séance à compter les pieds), ce qui le rend formidablement ludique, et certaines tirades et joutes verbales (dont le film ne manque pas) assez jouissives.
Puis le film a pour lui de très bien gérer sa durée conséquente de deux heures et demie, en gardant pour sa deuxième mi-temps (une scène d’action assez cool faisant office de pivot entre les deux parties du film) le meilleur, à savoir la partie « romantique » (faut le dire vite) de ce récit. Faisant entrer en scène les superbes Sylva Koscina et Daliah Lavi, et bâtie sur une double tromperie sexuelle évoquant l’épisode des Trois Mousquetaires dans lequel D'Artagnan nique Milady en se faisant passer pour un autre – épisode curieusement absent de la dizaine d’adaptations ciné que j’ai vues (oups). Et purée, autant je m’amusais déjà bien jusque-là, autant ce nouvel acte m’a éclaté de bout en bout, un vrai festival de muflerie décontractée et de bons mots paillards (mais en vers, on se respecte !). Il faut voir les deux mecs se flatter mutuellement de leurs prouesses sexuelles que leur vantent leurs amantes respectives (qui chacune croit se faire démolir par l’autre mec) et éclater de rire de concert, quand en parallèle les deux coquines débriefent de leurs nuits endiablées en gloussant comme des dindes. C’est vraiment à chialer, j’étais en larmes.
Et finalement, le film boucle assez vite ensuite son intrigue « politique » (mise en veilleuse depuis une petite heure), confirmant que ce n’était vraiment pas le projet de Gance ici, qui est plutôt là pour s’éclater avec son binôme de personnages, et pas nous rejouer un grand récit d’aventure/espionnage politique comme pouvait l’être Les Trois Mousquetaires. Et pourquoi pas, après tout, si le résultat est aussi fendard.
Puis Gance n’oublie pas non plus de s’amuser un peu derrière la caméra, et propose ponctuellement quelques trucs assez sympas, qui certes jurent parfois un peu avec l’académisme du reste (genre les plans en vue subjective des éléments quand Cyrano fait son numéro dans la forêt), mais qu’importe, cela participe aussi au charme du film. Dont j’ai découvert l’existence par hasard à l’occasion du coup de projecteur sur son réal via le nouveau montage de son Napoléon, mais dont je n’avais jusque-là jamais entendu parler, y compris lors de mes rétro Cyrano puis Les Trois Mousquetaires ces dernières années. Choqué de cette invisibilisation ! J’exige la réhabilitation cinéphile immédiate de ce crossover gascon !
(Sinon, le nombre de plans dans ce film sur des chouettes, on en parle ? John Woo et ses colombes n’ont qu’à bien se tenir.)
Bref, c’était assez délicieux, franchement réjouissant. Je me suis bien marré. Toujours pas vu le fameux Napoléon du père Gance, mais ce Cyrano et d'Artagnan est en tout cas le deuxième film de lui que je mate (après Le Roman d'un jeune homme pauvre), et la deuxième réussite.