D'origine inconnue par Courte-Focalefr
Si chaque décennie cinématographique montre ses propres affinités et modes, il y a des choses qui demeurent malgré l’évolution de leurs habillages. Les années 2000 auront ainsi été placées sous le signe du « so dark ». Une mouvance générale conduisant à plébisciter le pessimisme et la noirceur. Ces notions auront été assimilées comme d’irrémédiables gages de qualité, l’intérêt de leur utilisation au sein de l’œuvre cinématographique n’étant plus que secondaire. Le moindre faiseur qui revendiquait son œuvre comme un travail extrême jetant un regard dépressif sur le monde pouvait se faire taxer d’auteur passionnant et possédé. Sonder les tréfonds de l’âme humaine devient moins le moyen d’évoquer quelque chose que la finalité de projets se basant sur de basiques distractions. Mais bon, cet art d’attirer le chaland sur un aspect qui tient de l’apparence et non du contenu a toujours été et le sera probablement encore à l’avenir (la nouvelle décennie est encore trop balbutiante pour savoir ce qu’elle nous réserve). Dans les si nostalgiques années 80, c’était la forme de la critique acide qui prédominait. En des temps où le politiquement correct était une préoccupation peu prisée, il était de bon ton de s’acharner à dire que la société va pas bien et que les gens y deviennent tout fous à cause d’elle. Une caution qui pour beaucoup devient le moyen de s’affirmer comme des grands qu’ils ne sont pas. Ce sera l’heure de gloire des John Badham (Wargames, Tonnerre De Feu) et autres Joseph Ruben (Le Beau-Père, Les Nuits Avec Mon Ennemi). George Pan Cosmatos en faisait également partie.
D’origine grecque, ce cinéaste formé en Italie se fera surtout connaître pour ses deux grosses productions parrainées par Sylvester Stallone. La première sera Rambo II : La Mission où le héros-titre repart au Vietnam et gagne la guerre à lui tout seul contre l’avis de ces salopards de politicards. La seconde sera Cobra, relecture actualisée et débilisée de l’inénarrable Inspecteur Harry. Des films faits de sujets de société mais servant surtout de prétextes bidons pour se lâcher dans une débauche d’action. Cosmatos poursuivra ainsi avec Leviathan, où un consortium sacrifiant ses ouvriers sur l’autel de la cote boursière justifie la mise en place d’un mix Alien/The Thing/Abyss, et Haute Trahison, avec son complot d’Etat servant une traque plus proche de Terminator que des Trois Jours Du Condor. Même les films qui se feront finalement sans lui auraient probablement répondu au même principe (Running Man qu’il souhaite intégralement tourner dans un centre commercial, Total Recall qu’il veut dans la veine de L’Opération Diabolique), Toutefois, entre son départ de l’Europe et son arrivée aux Etats-Unis, Cosmatos fera un petit détour par le Canada où il réalisera D’Origine Inconnue. Ce dernier ne démérite pas avec son réalisateur et son époque en se posant comme un portrait à charge sur ses contemporains. Sauf que contre toute attente, Cosmatos réussit à prendre à bras le corps le sujet et accouche d’une œuvre véritablement troublante.
Tombé dans l’oubli après une sortie sans grand retentissement, D’Origine Inconnue n’a rien du thriller surnaturel que tente de vendre la bande annonce http://www.youtube.com/watch?v=LYCNtAfQmFY. Au contraire, le long-métrage s’attelle à dépeindre une horreur bien réelle. Et celle-ci commence dès l’introduction du héros qui est dépeint comme un pur produit de son époque. Interprété par un Peter Weller pas encore révélé pour son rôle dans Robocop (ou bien dans Les Aventures De Buckaroo Banzai A Travers La Huitième Dimension, c’est selon les affinités), le personnage principal se pose en effet comme l’archétype du buisiness-man accompli à l’égo surdimensionné. Alors que sa femme aimante et son fils vont s’absenter pour quelques jours, on nous le présente comme un être assez antipathique par la manière dont il savoure son bonheur. Les seuls échanges tenus avec son fils visent ainsi à réprimander le désordre qu’il met dans son impeccable maison. Une maison qu’il a, comme il le déclare fièrement, retapé lui-même sans aucun soutien financier ou manuel de quiconque. Il assimile la maison à un symbole de sa réussite personnelle. Un bonheur qu’il veut le plus parfait, justifiant par là son tempérament ouvertement carriériste et un désir de gagner toujours plus d’argent pour lever immédiatement son hypothèque. Jusqu’alors, c’est la seule ombre au tableau d’un accomplissement qu’il perçoit comme complet.
Une nouvelle ombre apparaît toutefois du jour au lendemain lorsque des bruits étranges se font retentir. Le héros doit rapidement se rendre compte qu’il a un rat dans sa maison. Ce détail en apparence insignifiant et facilement résoluble est un problème inexcusable dans son ensemble si parfait. Blessé dans son égo par un gardien se moquant de lui face à la perspective d’appeler un dératiseur, il s’occupe lui-même de la chose. Enchaînant échec sur échec, la folie commence à prendre le héros en bouleversant toutes ses convictions. Cosmatos déploie alors un processus où son héros régresse jusqu’au stade primal. « Pour survivre à la guerre, il faut devenir la guerre » lâchait Stallone dans Rambo II. Le héros de D’Origine Inconnue doit se mettre au même niveau que son adversaire. Le rat est un animal dit pur, dans le sens qu’il ne prolifère que pour satisfaire son besoin de survie. Il ne s’intéresse pas au confort ou au statut social. Comme le note un personnage, « l’ennui c’est que vous pensez à lui que 20% du temps mais lui passe 100% du sien à essayer de vous blouser ». De ce fait, le personnage se détache de tout ce qui l’entoure et de ce qu’il convoite. Il est intéressant de noter à quel point Cosmatos arrive ici à accompagner avec un certain brio ce cheminement par sa mise en scène. Alors qu’il est surtout connu pour des qualités picturales désormais datées (Cobra est, au-delà de sa ringardise, d’une mollesse aberrante), il signe ici une œuvre d’une certaine fluidité dans sa capacité à suivre le détachement de son personnage par le découpage.
Après avoir fait des recherches sur son ennemi, le héros retourne à son travail. Plutôt que de montrer le personnage suivre le mouvement pour rentrer dans le bâtiment, Cosmatos le montre arriver par une direction perpendiculaire. Le héros se détache ainsi du flot quotidien et acquière un nouveau point de vue. Toutefois, à ce stade, son égo reste intact et il pense pouvoir solutionner le problème prochainement avec ses nouvelles connaissances. Les plans suivants le montrent dominer la fourmilière humaine, bien assuré qu’il est au-dessus de tout ça. Il ne se doute pas qu’il rejoindra cette fourmilière plus tard dans le récit (le réalisateur reprendra le même type de cadrage en plongée) lorsqu’il déclarera à son patron qu’il doit revoir ses priorités, autrement dit abandonner son travail actuel pour chasser le rat à plein temps. Il s’agit là de la conséquence logique de ses recherches et de sa série de défaites face à la bête. Lors d’un dîner avec des collègues, il ne se montre plus capable de tenir une conversation courante et déballe toutes ses informations sur ces rats dont les méfaits ridiculisent les si minutieuses opérations financières qu’il monte pour des sociétés céréalières. La croyance dans l’univers qu’il a construit s’effondre et il ne voit plus comme possibilité de sortie qu’un retour vers une certaine forme de barbarie. Il se met à repenser la lutte pour son environnement, ne cherchant plus à préserver ni son travail (il se moque d’avoir obtenu par chance un délai supplémentaire pour traiter un dossier primordial à sa carrière) ni son confort (lui qui désirerait se débarrasser du rat sans salir son intérieur, il le détruira personnellement lors du final).
En ce sens, le rat pourrait se voir comme l’expression des névroses refoulées du héros dont l’accomplissement ne pouvait passer que par cette étape de régression. Une idée qu’assume pleinement Cosmatos dans une interview qu’il donnait à Starfix : « [le rat] était l’emblème de la paranoïa, de l’asphyxie, de l’arrivisme angoissé qui s’est développé dans nos grandes métropoles ». Une valeur symbolique qui devait toutefois passer par une illustration pertinente de la bête. Or, si Cosmatos désire judicieusement le rendre le plus invisible possible (la vue subjective se glisse dans la maison comme une pensée maladive dans le crâne du personnage), les producteurs ne l’entendent pas de cette oreille. Ils réclament que le réalisateur inclue des plans explicites sur le rat. Avec résignation, il s’attelle à la tâche en jouant sur sa trademark à base de gros plans pour ajouter des inserts obscènes sur les pattes et le museau du rat. Le résultat enlève de la force métaphorique au film rendant la confrontation plus palpable. Les attaques s’avèrent d’ailleurs assez ridicules à cause de cela. Outre certains détails crispants (des rêves grotesques traduisant la dérive du héros, la justification de l’acharnement du rat par la destruction accidentelle de sa portée), il y a également à supposer que les producteurs ont influé sur la fin. Savourant sa victoire sur la bête dans sa maison en ruines, le héros accueille sa femme et son fils. Normalement, il y aurait lieu de s’interroger sur la transformation du héros et surtout comment celle-ci sera acceptée par le reste du monde (si tant est qu’elle le soit). Or, toute ambiguïté est simplement évacuée sur une blague comme si il n’y avait eu aucun changement de valeur.
Bien sûr, cela tend à dévaloriser le résultat final. D’Origine Inconnue arrive pourtant à conserver tout le mérite de ses qualités par un processus émotionnel travaillé et ne se cachant pas uniquement derrière ses ambitions critiques.