Le thème du destin tragique au cinéma doit toujours être pris avec des pincettes. Visant à toucher le spectateur dans ses émotions, il se refuse parfois trop aux qualités visuelles et scénaristiques pour privilégier le pathos qui ravira le grand public. La ligne verte, Le cercle des poètes disparus ou encore Les évadés multiplient les visages larmoyants et les dialogues enfantins pour donner l'impression au spectateur qu'il vient de voir un grand film (avec plus ou moins de succès).
Dancer in the dark évite cet écueil à bien des égards. Pourtant, la représentation tragique de la descente aux enfers de Selma ne s'affranchit pas nécessairement des codes du genre. Le trait est souvent grossit, le déroulement deviné à la séquence près, dés le début du film.
Mais Dancer in the dark excelle dans la destruction de l'innocence, l'anéantissement de l'existence déjà fragile d'une Selma abimée par la vie.
L'attachement au protagoniste principal est rendu possible par le jeu incroyable de Björk crédible en mère de famille sacrificielle, à la personnalité naïve, foncièrement douce et fondamentalement bonne. Oui, Selma est courageuse, brave et on aimerait qu'elle s'en sorte. Même si on sait que ce ne sera pas le cas.
Lars Von Trier nous peint un magnifique tableau d'une femme émouvante pendant la première partie de son film, au quotidien fragile, menacé par trop de facteurs différents.
La deuxième partie, aura donc pour objet la dégradation de tous les pendants de l'existence de Selma. Cette dégradation sera finalement emprunte d'une grande pudeur, à l'image de son personnage. Ainsi les dernières minutes du film s'autorisant davantage de mélodrame, ne semblent pas de trop ; ce n'estt finalement l'explosion d'une femme qui a vécu en retenue toute sa vie, s'excusant presque d'être là, d'être pauvre, aveugle et immigrée.
On s'abandonne volontiers aux émotions que Lars Von Trier a exigé qu'on ressente. La mise en scène crue et froide y est sans doute pour quelque chose.
Et puis que dire de ce duo avec Catherine Deneuve ? Jamais vraiment approfondi, souvent simplement évoqué, il fonctionne à merveille, montrant un bonheur possible mais finalement avorté.
Enfin, cette scène finale. Un pessimisme tellement noir, un climax tellement redouté. Le souffle est bel et bien coupé.
Dancer in the dark, contrairement à ce que beaucoup avancent, ne prend pas son spectateur pour un idiot. Selma a fait son choix, il est logique au vu de l'identité que cette dernière a construit pendant tout le métrage. La direction choisie par Van Trier est celle qu'il était préférable de suivre pour apporter constance et crédibilité au récit, mais la condamnation à mort de Selma ne pouvait raisonnablement pas s'affranchir d'une vive émotion suscitée face à la victoire trop maigre, trop injuste de cette femme en souffrance.
Si le film reste sur l'estomac, il n'est en rien indigeste. Le nihilisme ambiant qui s'en dégage en fait un bien triste diamant du cinéma moderne.