En visionnant le film de Tom Hooper, on ne peut que faire le parallèle avec le film de Xavier Dolan sorti en 2012, Laurence Anyways. Même si ce dernier avait ses limites, le contraste entre les deux oeuvres est assez prégnant. Deux cinémas s'affrontent, deux manières de réaliser, de construire un scénario, mais aussi tout simplement de sélectionner leurs acteurs. De même, ce sont deux films qui s'opposent sur leur formatage, sur leur style, et sur les publics auxquels ils s'adressent. Publics... ou jurys. D'une part, un film (Laurence Anyways) plutôt tourné vers le Festival de Cannes, vers le cinéma européen, de l'autre, un film (Danish Girl) dirigé vers les Golden Globes, les Oscars, vers des critiques et jurys à qui il en faut peu pour faire leur choix, et valorisant depuis plusieurs années les Biopics, les prestations scéniques uniques, originales, qui détonnent. Aussi difficiles ces performances soient-elles, elles n'en restent pas moins un palliatif au vide qui dégage de certains films, et de Danish Girl en particulier.
Pour rester dans le parallèle avec le film de Xavier Dolan (je pense, peut-être à tort, que la comparaison est pertinente), Laurence Anyways raconte l'histoire de Laurence, un professeur de lettres hétérosexuel, qui annonce à sa petite amie, Fred, qu'il veut devenir une femme. Il va ainsi lutter contre la pression familiale et sociale, contre les préjugés, pour mener à bien sa transformation. Ce film est travaillé sur la réalisation, sur l'esthétique, le québécois pense l'image de son film et ne se contente pas de mettre à l'écran des personnages habillés pour l'occasion. Ses personnages sont dans l'interaction entre eux, ils sont vivants, et non dépassés par les décors, par l'atmosphère régnante. Ils ont leurs énervements, leurs contradictions, leurs défauts. De même, les acteurs n'ont pas besoin d'en faire des caisses, ils jouent comme ils savent le faire, ils n'en rajoutent pas. Le scénario rend un film qui cherche à nous faire comprendre, qui nous permet d'appréhender la question du rapport au corps, sans vouloir nous attendrir, nous rendre larmoyant.
Quant à Danish Girl, Tom Hooper nous conte l'histoire vraie de Einar Wegener et de la personne qui est en lui, en elle, Lily Elbe. Tiré du roman de l'américain David Ebershoff, lui-même inspiré du journal de Lily (qui serait peut-être intéressant de lire, je pense que nous découvrirons des choses étonnantes par rapport à sa version romancée), on suit dans les années 1930 le parcours de la première femme transgenre et de sa femme, Gerda. Le film aborde la transformation pas à pas, le rapport au corps de Lily, son rapport à sa femme, aux femmes et aux hommes. La réalisation s'attache à percevoir la finesse qui est en elle. Le réalisateur anglais s'intéresse à la fois au processus, et aux relations entre Lily et Gerda, sur l'apprentissage du soi, sur la compréhension de l'autre. Il s'attache également à montrer de quelle manière Einar et Lily sont la même personne, même si la gestuelle évolue, le regard aussi. Lily apprend à se comporter comme une femme, à copier, à mimer, en en regardant d'autres.
Malgré cela, le film reste limité. On a l'impression de tomber sur des personnages amorphes, sans vie, et des acteurs pensant déjà à la cérémonie des Oscars à venir, dans une sorte de concours à celui qui jouera le mieux, sans se soucier du personnage qu'ils interprètent. Ils sont plus importants. La réalisation est quasiment inexistante, c'est plat. A croire qu'un cameraman ait posé son matériel avant de vaquer à ses occupations. De même, le scénario n'est qu'un récit, sorte de roman oral, sorte de biographie écrite qu'une voix off aurait pu lire. Un film ne doit pas seulement être un hommage à une personne, à une femme, quelque soit son parcours, son héroïsme. Un hommage ne doit pas servir à masquer des lacunes rédhibitoires. Le cinéma doit être plus que ça. Le cinéma est un art vivant, il ne doit pas être un art muséifié, un art hommage.
Pour finir, nous aurions sans doute beaucoup plus appris du premier homme - dont le médecin de Lily parle, si celui-ci a effectivement existé - ayant renoncé à l'opération que de Lily. Dans Danish Girl, la question de la pression sociale est pratiquement inexistante, ça donne l'impression que la seule difficulté de Lily n'était que de s'accepter comme elle est. De même, nous pouvons nous poser la question du choix de l'anglais comme langue officielle du Danemark - à croire que Danish Girl n'a de danois que le titre. Ce film est raté, décevant, long et pathos. La touche larmoyante qui en émane couronne un film sans saveur ni intérêt. Un film brouillon qui en voulant tout aborder ne va en profondeur nulle part, si ce n'est aux tréfonds de l'ennui.