Quoi de plus naturel que d'offrir à un couple d'artistes un cadre aussi sublime qu'une peinture ? C'est sans doute ce qui m'a le plus émue dans ce film : cette sorte de virtuosité visuelle, ce lyrisme des images, surpassant parfois le film lui-même. Finalement, "Danish girl" s'apparenterait presque à une grande galerie d'art, que le spectateur traverse au fil des plans, tous d'une beauté incroyable, composés à la manière de véritables toiles mêlant perspectives et nuances, reflets et attitudes...
En effet, comment ne pas être happé, dès l'introduction, par ces vues énigmatiques et furtivement capturées, faisant magnifiquement écho au spleen intérieur d'Einar - sorte de nature endormie et désolée. Ainsi, Tom Hooper rend grâce à ces paysages nostalgiques, comme il rend grâce à Einar, en filmant la transition. Celle de la tristesse vers le bonheur, de l'ombre vers la lumière, de l'ignorance vers l'acceptation, du mensonge vers la vérité... Et, bien sûr, de la masculinité vers la féminité.
Le film traverse alors un tas d'émotions profondes, jouant sur les variations et les nuances; telles les couleurs subtiles d'un tableau. A nouveau. Et jusqu'aux dialogues, il se distingue encore par son évident pouvoir poétique, alternant judicieusement questionnements et compassions. Définitivement, "Danish girl" semble retranscrire avec délicatesse une immense leçon d'humilité et d'amour, qui bizarrement nous touche sans complètement nous émouvoir.
Une histoire de (r)évolutions
Parce qu'en dépit de cette indéniable poésie, certainement le réalisateur aurait-il gagné en intensité à approfondir ce moment de basculement vers la naissance de Lili, surgissant selon moi de manière plutôt rapide et inexpliquée. Certes, convenons que pour Einar également, ce sentiment puisse survenir soudainement. Mais "Danish girl" ne laisse pas le temps d'apprivoiser cette nouvelle attirance ni d'en explorer le désir progressif, précipitant ainsi le glissement vers l'incarnation entière et absolue de Lili.
Je ne peux donc que regretter ces émotions trop timides, ces états contenus, qui ne m'ont pas permis d'entrer en totale connivence avec Lili; finalement trop attachée au personnage d'Einar et, plus vrai encore, avec celui de Gerda, faisant presque naître l'envie farouche de voir son époux rester homme. Par pitié pour elle - paradoxalement trop amoureuse pour se battre - mais, surtout avec le besoin étrange de vouloir se révolter à sa place, viscéralement peinée par son désespoir.
De fait, le sacrifice est l'autre grande cause du film. Comme évoqué, il y a d'abord celui de Gerda, renonçant à son époux pour l'accompagner dans sa quête d'identité, pratiquement héroïque dans sa tolérante modernité; puis celui d'Einar, prêt à renier sa propre vie pour faire exister celle de Lili.
Encore une fois, "Danish girl" n'est autre qu'une gracieuse démonstration d'amour baignée d'une infinie bienveillance, toujours sur le point d'en faire trop, mais joliment maintenu en équilibre grâce à l'extrême dévouement des acteurs pour leurs personnages. Fascinant.