Danish girl a quelque chose de paradoxal, au sens où le réalisateur semble passer tout à fait à côté de son sujet, mais pas les acteurs, qui en délivrent quelque chose de très juste humainement parlant. L'histoire de Lili Elbe/ Einar Wegenen a bien sûr un potentiel narratif très important, et on peut saluer la volonté de faire connaître au grand public un personnage trans de cette envergure. Initialement décidée à y aller par conviction militante (et parce que j'adore Eddie Redmayne) j'ai finalement été très déconcertée par le film. Bien sûr, il y a pour me plaire la dimension purement picturale de certaines scènes, un jeu de couleur à vous couper le souffle, une vie très forte et une dimension contemplative qui me séduisent, mais il y a aussi l'aspect... comment dire? - Raté du film de genre.
Danish girl, en deux mots, c'est un formidable film d'amour et un film sur la transsexualité assez médiocre, qui tombe dans la plupart des écueils du genre.
Dans les reproches que j'ai à lui faire: Danish girl met en scène un personnage trans en se passant d'acteurs trans (ce qui est toujours dommage, bien qu'encore une fois, je le répète, Eddie Redmayne fasse entièrement justice au rôle) en accentuant des lourdeurs inhérentes au besoin de créer une empathie avec le spectateur (des scènes de bastonnades, de violence dans le sens général du terme, de consultation médicales... pour le moins attendues et qui apportent très peu) et s'attarde de manière plombante sur la condition médicale en général. Je comprends que celle-ci soit importante, et que c'est notamment pour son opération que Lili Elbe a été retenue dans l'histoire, je regrette simplement que cette part éclipse le personnage haut en couleur et finisse par le résumer.
Je n'ai pas lu les mémoires de Lili Elbe (un jour, promis.) mais par rapport à la vision du corps, du genre et des relations amoureuses en général, je me demande dans quelle mesure la relation au corps et aux hommes est clichée ou si c'est la réécriture par le biais de deux hommes hétéros qui biaise les choses (?) - j'ai ressenti une certaine binarité pour les personnages. Hommes/femme. Hétéro/gay. Tout un tas de cases bien fermées, étrangement fermées, qui me donnent une sensation de fragilité d'écriture.
Pourquoi une note pareille, alors?
Parce que la chair est faible face au personnage de la femme de Lili Elbe. Le vrai intérêt de ce film réside à mon sens dans la performance d'Alicia Vikander et le personnage de Gerda, qui aurait dû être la Danish girl dont il est tant question. Ce magnifique personnage, haut en couleur, en densité et en émotion a quelque chose d'incroyablement émouvant. Toujours sublime, Vikander donne à Gerda une dimension écrasante. Comme elle, on tombe amoureuse d'Einar, on se fascine pour Lili, on souffre d'une ambition qui ne le dispute qu'à l'abnégation et à la sollitude. A titre personnel, j'aurais aimé que le film s'arrête sur la scène de discussion au lit, des protagonistes séparés d'un drap mais s'acceptant entièrement.
L'interprétation de Redmayne bien que très délicate ne m'a pas spécialement bouleversé, pas plus d'ailleurs que la personnalité de Lili Elbe. Mais le duo Gerda/Lili est bouleversant. Les regards échangés, l'amour et la confiance qui transitent sont fascinants, presque autant que l'obsession du visage et du corps chez les protagonistes, ou le rapport du corps au décor, à la lumière très pure du nord. Mention spéciale aussi aux superbes décors art nouveau de "Paris" (Bruxelles, en fait... ), aux costumes, aux personnages secondaires et autres détails artistiques et de la vie quotidienne qui ajoutent une dimension particulière au film.
Je suis ressortie de la séance émue, avec un peu plus de fois en l'humanité, riche d'avoir vu Gerda s'épanouir perdre pied et aimer; beaucoup d'admiration pour cette actrice que je découvrais et le personnage qu'elle m'a permis d'entrevoir: ce genre d'émotion-là n'a pas de prix et vaut à soi seul qu'on recommande le film.