I don't like your attitude, Brad.
Pour moi ce Werner Herzog forme un diptyque avec le "Bad Lieutenant" nouvelle manière. Un mélange étonnant, improbable, dont seul Herzog a le secret. Dans ces deux films, Herzog reprend des situations très stéréotypées du cinéma américain et les subvertit de l'intérieur en refusant de leur donner un quelconque sérieux. Ce faisant, il tord son sujet dans tous les sens jusqu'à faire passer ce qu'il veut (ce qui lui passe par la tête ?). Et au final, il retrouve le sujet de départ et le sert avec une forme d'intégrité.
Je ne sais pas si j'arrive à bien l'expliquer. Mais le début du film m'a fait hurler de rire. San Diego, une rue de banlieue chic. Montage parallèle entre Willem Dafoe en costume de FBI standard, assisté du classique partner chicano et les flashbacks des témoins autour du meurtre d'une vieille dame. La pauvre femme a été tuée par son fils avec une épée, sous les yeux des deux voisins blacks, et le fiston est retranché dans sa maison voisine, avec un shotgun. Tout le monde prend un air très pénétré et anxieux, alors que la tension est nulle. Le gamin, Brad, prétend détenir deux otages, mais il n'y a pas besoin d'être très intelligent pour se douter que ce sont les deux flamands roses qu'on a vu nourrir. Brad, par la porte du garage, fait rouler une boite de conserve avec une tête de quaker, et hurle qu'il n'a plus besoin de Dieu. Pendant ce temps, la copine, puis le directeur de théâtre vident leur sac à propos de Brad, de son attitude de plus en plus bizarre ses derniers temps. En fait depuis qu'il était revenu d'un voyage au Pérou. Censé partir faire du kayak dans les rapides, il aurait entendu une voix lui dire de ne pas se lancer. Les autres moururent, lui non. Il revint persuadé d'être suivi de très près par Dieu.
Il y a aussi toutes ces scènes hilarantes avec la mère, avec ce jeu hiératique de chacun tandis que la mère protectrice amène la surprise en fin de repas - un plat de Jelly immonde, ou lorsqu'elle amène un apéritif au couple dans leur chambre à coucher. La direction d'acteur façon Herzog, c'est vraiment drôle. On a l'impression que les interprètes sont à deux doigts du ridicule et n'ont d'autre choix que d'avoir une confiance aveugle dans le réalisateur. C'est déjà ce qui m'avait tant plu dans "Bad Lieutenant".
Derrière l'argument d'un tueur dont on explorerait le monde intérieur par une série de récit enchassés, se cache, comme dans "Bad Lieutenant", une parabole assez évidente de l'artiste, du poète. Ce dernier a une attitude incompatible avec la vie sociale, mais peut créer de la beauté en détournant les choses de leur finalité première. En remontant un escalier roulant pour mieux admirer des structures tubulaires. Ou en allant visiter un oncle éleveur d'autruches pour lui emprunter un sabre de cavalerie. Ou en créant un cercle avec des lunettes et en faisant descendre en son centre une ampoule ("c'est ma manière de faire descendre le paradis sur terre", parabole sur le cinéma qui fait écho à la scène de Bad Lieutenant où Nicholas Cage montre sa cabane à Eva Mendès).
C'est à la fois décalé et naïf. Et les mouvements de caméra restent très élégants, malgré ce refus du rythme habituel du thriller. S'il y a peut-être quelques facilités (le truc du ballon de basket), le film, sans être un chef d'oeuvre, a une vraie identité. Et c'est déjà tellement rare, de nos jours, que les idées cèdent un peu le pas devant une voix. Une voix de conteur un peu charlatan, mais qui prend plaisir à ce qu'il fait.