Avec Entre tinieblas, Pedro Almodóvar amorce un tournant décisif, s'il conserve l'énergie anarchique de ses débuts, le réalisateur y explore plus en profondeur ses thèmes de prédilection : le désir, la transgression, et l'absurde des conventions sociales. Ce huis clos extravagant, niché dans un couvent où les religieuses cèdent à des vices improbables, devient une arène baroque où les pulsions humaines se libèrent de l’étau moraliste de l’Église.
En détournant les codes sacrés, Almodóvar renverse l’austérité catholique pour en faire un théâtre de contradictions, où l’excentricité et la marginalité revendiquent leur place. Le kitsch flamboyant des décors et la mise en scène saturée reflètent un monde en pleine mutation, miroir de la Movida madrilène, ce bouillonnement libertaire où tout était à réinventer.
Derrière l’ironie mordante et les provocations parfois outrancières, le cinéaste pose un regard tendre sur ses personnages, célébrant leur humanité dans toute sa complexité.
Pourtant, Entre tinieblas reste une œuvre de transition. Si elle foisonne d’idées et de promesses, elle souffre encore d’une esthétique baroque parfois envahissante et d’un humour absurde qui déconcerte. Le film se construit davantage comme une déclaration d’intention que comme une œuvre pleinement aboutie, portant déjà en germe l’audace et la singularité qui feront d’Almodóvar l’un des plus grands cinéastes de sa génération.