Histoire de tisser un réseau de relations entre cinéastes, on pourrait, au vu des premières images de "Dans un jardin je suis entré", en dire : "ceci n'est pas un film", en référence à Jafar Panahi. Pas un film au sens où la "pauvreté" esthétique de l'oeuvre de Mograbi le fait pencher du côté de l'objet bizarre mal fichu, vite expédié, sacrifié au profit d'une seule démarche : intimiste, axée sur le seul témoignage, en l'occurence celui tournant autour d'Ali le palestinien, connaissance de longue date d'Avi Mograbi.
Ce laisser-aller filmique, compréhensible dès lors qu'il s'agit d'une oeuvre confidentielle faite avec des moyens rudimentaires, est justifié encore par le fait que "Dans un jardin je suis entré" est un brouillon réalisé par Mograbi en vue d'un autre film sur Beyrouth. Profitant de la faconde d'Ali, son professeur d'arabe, et de son caractère jovial, Mograbi l'invite au départ à traduire en arabe le scénario de ce projet, qui tourne finalement en un dialogue où les deux hommes évoquent des points de l'histoire douloureuse entre juifs et arabes.
Intimiste, "Dans un jardin je suis entré" l'est d'autant plus que le travail de Mograbi porte en général sur la représentation de l'injustice du gouvernement israélien à l'égard des palestiniens. Mais la conversation entre les deux hommes, même si au départ elle semble se restreindre à des espaces intérieurs, rendue par cette pauvreté du filmage, trouve, à mesure que le film avance, une belle profondeur.
C'est d'abord par les séquences en voiture que Mograbi accentue la notion d'exploration (il y a par là, quelque chose qui évoque Kiarostami, sauf qu'ici, ces déplacements en voiture, au lieu d'être simplement dans l'espace, induisent aussi un mouvement dans le temps et l'histoire). C'est là que le titre, beau et comme issu d'un poème persan, trouve sa pleine signification : à la fois totalement décalé par rapport à la réalité dépeinte, mais porteur d'une nostalgie qui l'amène à restaurer un paradis perdu.
Le jardin dont il est question, c'est un parc dans une ville où Ali est né et qui est devenu une ville israélienne. Est présente Yasmine, la fille d'Ali, dont la mère est israélienne. Cette séquence, dans ce qu'elle provoque comme réaction chez la petite fille, est stupéfiante, au point de rendre mal à l'aise Avi Mograbi. Yasmine, en voyant une pancarte interdisant l'accès aux non-habitants, a une réaction douloureuse, comme si, à elle seule, elle portait de manière inconsciente la charge d'un conflit fondé sur la division des êtres, des espaces, et qui était toujours vivace. Comme si son corps relayait cet interminable conflit en portant les contradictions des hommes.
Le plus beau dans le film de Mograbi tient sans doute à ces séquences intercalées où une voix de femme lit des lettres d'une personne s'adressant à son amant ayant dû quitter le Liban après le conflit israélo-palestinien. Ecrites par Mograbi, inspirées par un cousin nommé Marcel, elles renseignent sur la propre vie du cinéaste, qui a vécu au Liban, et qui ne peut plus s'y rendre. La tonalité mélancolique de ces séquences imitant des images d'archives (mais en fait tournées pour le film), vaut à elle seule le déplacement.