Peut-être qu'elle est là, l'origine du cinéma d'animation japonaise. L'origine des plus grands. Peut-être qu'elle est née à force de regarder le ciel, de surveiller le ciel et ceux qui y passent. Peut-être qu'à force de guetter les avions et les bombes, ces artistes ont pris l'habitude de contempler le ciel, et de vouloir se le réapproprier. Comme Miyazaki, chez qui c'est une recherche constante, balai volant, vaisseau aérien ou avion-sardine, ou Shinkai, qui le sublime de couleurs et transforme les bombes en bénéfiques gouttelettes de pluie.
Leur ancêtre à tous, et pourtant leur descendante, la dernière-née de ces belles inspirations, c'est Suzu. Suzu, la distraction incarnée, incapable de dissocier ses rêves de la réalité, qui rencontre des monstres et en raconte l'histoire par dessin à sa petite soeur amusée aux larmes. Suzu qui va se retrouver mariée, sans trop l'avoir choisi, sans trop s'y être opposée - rêve, réalité ? - et va quitter son Hiroshima natale pour Kure, le port militaire à proximité.
Et c'est la guerre.
Et Suzu, elle, malgré la guerre, continue d'inventer, de dessiner, de rêver. La guerre n'est qu'un défi supplémentaire à son imagination, qu'un décor nouveau de nouvelles choses à voir. Les bombes qui explosent sont des taches de couleur, feux d'artifices magnifiques pour lesquels elle arrête de fuir et observe. Avant de se réveiller. Elle encourage sa nièce à s'intéresser aux différents bateaux du port militaire, leur nombre de marins, leurs noms, leurs puissances. On peut bien s'en émerveiller, puisque c'est ce qu'on nous met devant les yeux.
Suzu qui lit d'anciennes recettes de généraux de l'armée japonaise, qui rationnaient en temps de guerre et imaginaient des moyens d'économiser la nourriture. Insuccès, comme toujours, porté par la maladresse de Suzu, mais pas échec, car le combat continue, l'inventivité ne s'arrête pas.
Suzu traverse des drames, Suzu perd son optimisme, le retrouve, se renforce à nouveau. Mais jamais elle ne s'arrête de voir la beauté autour d'elle, jamais elle ne désespère du monde, jamais elle n'abandonne. Suzu est l'énergie humaine, celle qui fait que l'être humain a atteint et conquis les endroits les plus inaccessibles, et qu'il regarde maintenant les étoiles. Suzu est ces femmes allemandes, ces femmes de Berlin qui reconstruisent la ville, tout en disant au milieu des gravas aux enfants de se laver les mains avant de passer à table.
Et autour de Suzu, les gens tombent, la mort rôde, les hommes se battent, partent, reviennent. Pourquoi ? Pour qui ? Peu importe. Il y a une fierté à le faire, une fierté d'humain, d'hommes et de femmes qui font leur devoir. Sans trop comprendre ce que cela enjoint. Le beau-père de Suzu vise à "augmenter le rendement des machines". Pourquoi, pour quoi ? Le mari de Suzu est "greffier". Suzu pense qu'il greffe des plantes. Pourquoi ? Peu importe, si on dit que c'est utile. On ? Qui ? Tout là-haut, des gens décident, personne ne comprend. L'absurde, le pire arrive, et toujours Suzu regarde vers l'avant.
Et même devant le pire, même après le pire, elle sourit sans cesse, et retrouve des raisons de sourire quand elle les a perdues. La guerre, finalement, est-elle le sujet central de ce film ? Non. Elle arrive, elle passe, sans but, sans que l'on comprenne comment elle est reliée au reste. Sans sens.
Le sujet de ce film, c'est l'extraordinaire beauté du monde, partout, tout le temps. C'est l'extraordinaire beauté de l'être humain, capable, sans cesse, de percevoir cette beauté et d'en nourrir sa vie.