Aujourd'hui, jeudi 16 janvier 2025, David Lynch est parti explorer un nouveau mystère : la mort.


Il est et restera pour moi, l'un des plus importants metteurs en scène à avoir traversé ma culture cinématographique.


Doté d'un imaginaire unique, il savait faire partager à travers ses œuvres, ses rêves lumineux et parfois naïfs , ses cauchemars terrifiants, ses obsessions, ses fantasmes... Sa folie ...


Avec lui, le cinéma perd l'une de ses plus grandes étoiles et l'Art un de ses représentants les plus originaux...

La curiosité lunaire de cet homme l'aura fait s'essayer à presque toutes les formes d'art: cinéma bien sûr... Mais aussi musique, photographie, peinture, écriture... Un touche à tout de génie en somme...


Découverte de la magnifique monstruosité


Alors que j'avais 14 ans, je decouvrais "Éléphant man", son second long métrage. Auréolé d'un grand prix au festival d'Avoriaz, le film relate l'histoire tragique mais vraie de John Merrick, ce jeune anglais atteint de monstrueuses malformations congénitales en pleine Angleterre victorienne.

Supposé mentalement déficient alors que c'était un esprit brillant, il fût exhibé dans des foires, avant d'être découvert par Frédérick Treves, un médecin londonien qui décida de s'occuper de lui avant de devenir son ami.

Magnifiées par un noir et blanc crépusculaire, les images donnent à Londres, qui est en train de devenir une ville industrielle, une ambiance de fin du monde tout en montrant que la beauté et l'émotion peuvent se cacher même sous la plus repoussante difformité. Lynch montre par là même le voyeurisme malsain inhérent à l'être humain.

Le cri déchirant de John Merrick "I'm not an animal... I'm a human being!" alors qu'il est poursuivi par une foule qui veut le lyncher à cause de sa différence est un bouleversant plaidoyer pour la tolérance et contre l'exclusion.


"Eraserhead"


Son premier film, lui aussi dans un très beau noir et blanc, "Eraserhead", je ne le découvris que plus tard, au détour d'une location vidéo...

D'abord dérouté, je me rendis rapidement compte que ce metteur en scène là avait un univers bien particulier où la fascination pour la difformité et la perversité humaine, occupait une place prépondérante dans sa réalité alternative.

Cependant même dans les scènes les plus gore, on decelait de la poésie dans les images et de la bienveillance pour ses personnages...

"Eraserhead" c'est un film où le jeune Davíd Lynch vomit ses peurs... Peur de la difformité, de la paternité, du couple marié, de la société industrielle (lui même est un enfant du quartier industriel de Philadelphie)...

On y retrouve d'une certaine manière les prémices de toutes ses obsessions futures ...

Chacun de ses films suivants va apporter une pierre supplémentaire à l'œuvre unique qu'il est en train de bâtir.


L'apprentissage d'Hollywood


Le succès critique comme public d'"Éléphant man"va lui ouvrir les portes de la Mecque du septième Art... On lui propose d'adapter "Dune", le chef d'oeuvre de la littérature de sf de Frank Herbert, réputé inadaptable...

Ce sera un échec... Film décrié (à tort à mon sens) et critiqué, il est le seul "blockbuster" de sa carrière. Il va garder un souvenir très négatif de cette expérience.

Dépossédé du final cut et par là même, de son œuvre , il reniera le film même si on y retrouve des fulgurances lynchiennes, notamment dans les scènes avec le baron harkonnen, ce monstre difforme, principal antagoniste du héros ou dans la description de Geidi Prime, la planète industrielle des Harkonnen justement...


"Blue velvet": le ver dans la pomme.


Toujours produit par De Laurentis qui s'en voulait de ne pas avoir assez soutenu son réalisateur sur "Dune", "Blue velvet", son opus suivant dépeint un univers merveilleux et naïf qui sous tend encore une fois un monde pervers et cauchemardesque ... Au détour d'un jardin idyllique tout droit sorti d'un conte de fées, surgit des brins d'herbe une oreille humaine... A qui appartient elle? L'enquête va mener, Jeffrey Beaumont, notre jeune et ingénu héros dans un monde où règne voyeurisme, perversion et fascination pour la violence...

Dennis Hopper, en tueur sadique et implacable, éructant des grossièretés et criant maman devant le sexe offert d'Isabella Rossellini est une des images fortes qui imprime notre rétine même après la fin du film...

Avec "Blue Velvet", l'American way of life n'est rien d'autre qu'une réalité trompeuse ... Comme ce que montre le cinéma de Lynch...


Lynch et la musique


La musique, déjà au cœur de ses préoccupations, devient avec "Blue velvet" un élément essentiel de son univers ...

Ce film marque d'ailleurs la première collaboration avec celui qui va être amené à devenir son alter ego musical: le compositeur Angelo Badalamenti ... Il va intégrer parfaitement le monde allégorique de Lynch et y apporter un son qui sera indissociable de l'univers du réalisateur... Comme Hitchcock avec Bernard Hermann ou Fellini avec Nino Rota, Badalamenti va devenir le double musical de Lynch en quelque sorte. Il restera jusqu'à sa mort en 2022 le compositeur exclusif du maître même si, tout au long de son œuvre, fasciné par la musique sous toutes ses formes, il va faire appel à d'autres artistes musicaux leur proposant même parfois d'intégrer le casting de ses films... "Dune" avec une musique composée par Toto et Brian Eno mais également Sting pour y incarner Feyd Rautha... David Bowie ou Chris Isaak, tous deux, acteurs dans "Twin peaks".... Marilyn Manson dans "Lost Highway".


La révolution Twin peaks


A la fin des années 80, le cerveau bouillonnant d'idées du metteur en scène va venir bousculer le monde ennuyeux de la petite lucarne avec une série qui restera unique en son genre... "Twin peaks"...

Celle-ci va révolutionner le monde de la série télévisée à une époque où la qualité était toute relative et se réduisait à une mini série de la fin des années 70 sur la Shoah... "Holocauste" (tremplin pour les carrières de Meryl Streep et James Woods)


Avec "Twin peaks", une histoire d'inceste et de crime sordide, Lynch va poser une question qui va tenir en haleine une Amérique alternative rongée par ses obsessions et ses fantasmes réprimés: "Qui a tué Laura Palmer ?"

L'enquête policière, mené par l'inénarrable agent Dale Cooper ( ah... Cooper et la tarte aux cerises...), baigne dans un univers fantastique et fantasmagorique où l'humour est cependant présent...

Mais jamais Lynch ne donne la clé du mystère... Les énigmes s'accumulent sans que les réponses ne soient révélées ... Dans le "Dark world", monde alternatif et terrifiant imaginé par David Lynch et Mark Frost, co-créateur du show, les questions sont plus importantes que les réponses... Et c'est au public d'essayer d'en apporter une... Si tant est qu'il y en ait une...


Lynch n'hésite pas à filmer certaines scènes à l'envers pour décontenancer le téléspectateur... Encore cette fascination pour l'incompréhensible...

En tout cas,, cela va tenir en haleine longtemps, des hordes de fans/adorateurs...


Le choc "Sailor et Lula"...


Avec ce film, Lynch s'essaie au conte de fées... Mais tendance sexe, rock n' Roll et ultra violence... Le réalisateur tend un miroir à l'Amérique et montre une violence de plus en plus présente dans le cinéma mais aussi dans la vie quotidienne... Tout est violent dans le film... On fait l'amour et on danse sur fond de musique métal... Le déhanché de Nicolas Cage dans la boîte de nuit en est à ce titre une demonstration... Ici, on ne se bat pas: on explose le crâne de son adversaire...

Un peu comme chez Tarantino un peu plus tard, la violence en devient presque drôle... Elle est filmée au second degré...

Dans ce film, David Lynch se montre finalement résolument optimiste... La bonne fée apporte le happy end et Nicolas Cage, debout sur une décapotable, peut entonner "Love me tender" sous les yeux conquis de sa belle Laura Dern...

Quand le magicien d'Oz rencontre Elvis... Jubilatoire !

Il en remporte même la palme d'or au festival de Cannes...


Retour à Twin peaks ... Deuxième partie.


Pour le plus grand plaisir du public fasciné par le destin funeste de Laura Palmer, Lynch pose à nouveau ses valises dans la petite bourgade de l'état de Washington pour raconter les sept derniers jours de la vie de Laura Palmer... Un film prequel en quelque sorte... Là encore, il va disséminer des indices pour comprendre ce qui est arrivé à la jeune femme sans jamais donner les clés... Qu'il n'a peut-être pas... Nous n'en saurons pas plus en tout cas sur le sort de l'agent Dale Cooper...

Il va falloir attendre 25 ans...


Lost Highway... L'autoroute vers l'enfer...


Inspiré très librement de l'affaire O.J.Simpson, celui-ci est son film le plus radical et, à mes yeux, peut être le plus fascinant...

"Dick Laurent is Dead"... C'est avec ces mots énigmatiques entendus à l'interphone de son appartement que Fred Madison, saxophoniste dans un petit groupe de jazz, va plonger dans un monde cauchemardesque...

La recherche de cet homme-mystère va l'emmener aux confins de la folie et de la schizophrénie... Un monde parallèle alternatif où règnent la violence et la pornographie et où chacun ne semble plus avoir ni le même rôle ni la même personnalité... Une espèce de multivers bien avant l'heure Marvel... Ce monde n'est pas sans rappeler encore le monde noir de Twin Peaks ou celui de Blue Velvet...


Dans cette réalité parallèle, les personnages peuvent être interchangeables... Fred Madison peut, dans le couloir de la mort, devenir un autre sans véritable explication... La fin volontairement ouverte est peut-être la plus terrifiante et incompréhensible de tous ses films... Elle continue de nous hanter bien longtemps après...


Une histoire vraie... La parenthèse enchantée.


Ce film marque, sur le fond comme sur la forme, une rupture ... Volontairement épuré dans sa structure et décrivant un monde qui semble paisible, il différe de ses films précédents mais reste une oeuvre profondément lynchienne dans la description de ce vieil homme qui poursuit un rêve: traverser les Etats Unis en motoculteur pour retrouver son frère mourant afin de se réconcilier avec lui... Lynch dépeint une Amérique rurale avec toute la bienveillance du monde et il nous émeut avec l'histoire d'Alvin Straight...


Pourquoi un tel changement dans sa filmographie ?

Peut-être pour se réconcilier avec un public dérouté par son opus précédent d'une profonde noirceur...

Mais on sent également toutes les préoccupations d'un homme qui commence à s'interroger sur la mort... Lynch a perdu peu de temps avant son ami de toujours et acteur de la plupart de ses films , Jack Nance, le protagoniste de "Eraserhead"... Limpide dans sa construction et profondément émouvant dans son propos, Lynch nous boulverse en retrouvant l'épure d'"Éléphant man"...


Mulholland drive...


Second opus de sa trilogie sur Hollywood après "Lost Highway", "Mulholland drive", c'est finalement deux films en un. C'est aussi une métaphore sur Hollywood et son usine à rêves... On suit le destin croisé de deux femmes qui n'en sont peut-être qu'une, Diane/Betty et Camilla/Rita... L'une venue à Hollywood pour accomplir son rêve d'actrice et l'autre frappée d'amnésie après un accident de voiture/tentative de meurtre...

Deux femmes, qui s'attirent pour se perdre et parfois disparaitre dans un Hollywood où la tromperie semble présente en permanence...

Le film repousse constamment la frontière entre rêve et réalité tout en laissant au spectateur le soin d'y apporter sa propre interprétation...


Chaque petit détail a son importance et le film baigne dans un onirisme permanent. En particulier, lorsque les deux femmes assistent à un spectacle qui les boulversent... Sur la scène d'un théâtre rappellant (encore) le monde Noir de "Twin Peaks", un homme au sourire inquiétant répète un mot que Rita murmurait dans son sommeil peu avant... "Silencio..."

Et si tout le film, tout du moins une grande partie, n'était qu'un rêve ?


Comme la plupart des films du réalisateur, plusieurs visionnages du film permettent un début d'explication...


Comment ne pas voir aussi une évocation du destin tragique de Marilyn Monroe à travers l'histoire de cette belle et jeune actrice sortie de nulle part et qui souhaite à tout prix réussir dans la capitale du cinéma?


"Mulholland drive", c'est le film sur le rêve brisé d'une actrice... Comme l'était "Sunset boulevard" de Billy Wilder dont il s'inspire ouvertement pour le titre...

Un autre chef d'œuvre...


Inland empire


Dernier long métrage de la carrière de David Lynch, "Inland empire" est le troisième et dernier volet de sa trilogie sur Los Angeles et Hollywood...

Parlant de la mort et de la renaissance, c'est son film le plus extrême depuis "Lost Highway" mais également le plus cryptique, et peut être le plus hermétique pour celui qui ne connait pas bien l'œuvre du grand maître...

Fan de la première heure du cinéaste, je dois avouer que la première vision du film m'avait déconcerté voire irrité... Cependant, certaines images me revenaient régulièrement à l'esprit. Je décidais donc quelques semaines plus tard et au prix d'une longue digestion de lui laisser une seconde chance.


Tout d'abord, c'est un film qui s'adresse à ceux qui aiment se perdre dans les dédales d'une construction apparemment chaotique...

Récit(s) quasi hypnotique (s) qui englobe (nt) plusieurs intrigues et du coup, plusieurs réalités, cet empire intérieur que nous invite à explorer Lynch est celui du subconscient ...

Ceci étant dit, si on lâche totalement prise, le voyage, bien que tortueux, peut s'avérer instructif et finalement fascinant.


Le récit central est celui de cette actrice, incarnée par une Laura Dern transfigurée et dont on mesure l'évolution lynchienne depuis la jeune fille innocente de "Blue velvet" en passant par une Lula déterminée et objet du désir de Sailor pour aboutir à cette femme à qui une voisine/medium prédit un destin funeste si elle tourne dans le film pour lequel elle vient de s'engager.


Tourné avec une caméra numérique et des procédés totalement nouveaux pour l'époque, Lynch s'amuse (ou pas) à nous perdre entre les intrigues et convoque ici tous les personnages emblématiques de son "bestiaire" pour une dernière danse... Comme ces lapins anthropomorphes, sortis d'un de ses courts métrages, qui apparaissent accompagnés de rires enregistrés tout droit sortis d'une sitcom.


Œuvre déstructurée et destructurante, "Inland empire" n'a pas fini d'être interprétée par les exégètes de l'imaginaire lynchien.


Retour à Twin Peaks ... Troisième et dernière partie.


Comme annoncé par Laura Palmer dans une des dernières scènes de la série, il a fallu 25 ans pour retrouver les personnages de la série...

Dale Cooper est toujours prisonnier du "Dark world " pendant que le personnage maléfique de Bob a pris possession du double maléfique de l'agent du FBI pour semer la terreur.

Lynch conclut son voyage à Twin Peaks de manière définitive et avec une maestria qui frôle la perfection...

Le rideau rouge peut alors se baisser sur la pauvre Laura Palmer et sur le Monde Noir...


Que restera t il de cet univers ?


Aujourd'hui, on peut dire sans s'avancer que l'héritage du cinéaste est immense... Ne serait ce qu'esthétiquement: un univers tout droit sorti d'une Amérique coincée dans les années 50 et influencé picturalement par Francis Bacon, Grant Wood ou Edward Hopper et auquel il ajoutera sa propre fantaisie et un monde onirique très personnel...

Voir la beauté dans la laideur et l'indicible peur dans la réalité...


Restera également un David Lynch espiègle qui aimait cabotiner dans ses films... Dans "Twin Peaks" par exemple avec son rôle hilarant de l'agent malentendant, Gordon Cole ...


Sa toute dernière apparition à l'écran en tant que comédien, il la réserva à Steven Spielberg, admirateur de la première heure, dans son film autobiographique "The Fabbelmans"... Il y interprète très symboliquement le légendaire réalisateur John Ford dans les dernières minutes du film...

La scène très drôle où un John Ford tonitruant, apprend au jeune Spielberg l'importance de la place de la caméra rejoint finalement son propre discours sur la fidélité à la vision créative...


Comment ne pas y voir l'intime conviction de Lynch face au rôle du cinéaste, de l'artiste dans son œuvre ?


Pour cette raison et pour tous ces films et séries qui ont marqué une vie, de l'adolescence à l'âge adulte, je tenais à rendre hommage à cet immense artiste qui vient de rejoindre le firmament des génies du cinéma.


Merci, Monsieur Lynch, d'avoir su partager votre vision si particulière du monde...


Signé : Un cinéphile éternellement reconnaissant

Gonzo78
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le 19 janv. 2025

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