Si certains mentionnent leur ami noir pour se défendre d’une accusation de racisme, il en va de même pour le cinéphile critiquant un film contemplatif réputé, obligé de clamer son amour pour Lav Diaz afin de conserver sa légitimité. Pourtant, rares sont les spectateurs allergiques à la lenteur, puisque l’ennui provient davantage d’un manque d’intérêt que d’un rythme posé : Sátántangó a beau durer 7h30 et être constitué de plans-séquences étirés, on reste passionné par l’incroyable sens du plan de Béla Tarr. Le plus souvent, quand un réalisateur travaille sur l’étirement du temps, la longueur ou le quotidien, le film est suffisamment riche pour jouer sur plusieurs tableaux. Par exemple, la trilogie de la glaciation humaine de Michael Haneke base son suspens sur l’immobilisme de la vie quotidienne, afin de mettre en valeur les conclusions de chaque film. On pourrait également citer le génial Jeanne Dielman, 23, Quai du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman, dont le message politique est profondément ancré dans la forme, avec ces 3h21 qui suivent la vie d’une femme au foyer. Et pourtant, parfois, rien n’y fait : on se retrouve enfumé, réduit à notre agacement primaire, puni par notre attrait du cinéma intellectuel. C’est la sensation prédominante devant le dernier film de Tsai Ming-liang.
Rizi suit deux personnages solitaires, Kang et Anong, qui finiront par se rencontrer avant de repartir chacun de leur côté. Pour retranscrire la solitude et l’ennui de ces deux protagonistes, le réalisateur opte pour de longs plans fixes suivant les personnages dans leurs quotidiens moroses, en réduisant le nombre d’actions au sein d’un même plan. En plus d’être assez simpliste et éculée, cette idée de mise en scène est plus que critiquable car elle ne permet que de donner l’illusion de l’ennui. Si on vous filme en plan fixe pendant que vous regardez un film, vous aurez beau l’aimer, le spectateur pensera que vous vous ennuyez car vos pensées échappent à la caméra. Il faut donc donner au spectateur de la matière à penser, afin que son imagination puisse broder les pensées du personnage. Pourtant, Kang n’est caractérisé que par son mal de cou, et si la situation économique d’Anong peut se déduire, elle n’est pas réellement définie. Dès lors, les nombreux plans fixes silencieux sur des visages penseurs sont superficiels et ne peuvent pas toucher, malgré la prétention du monteur qui s’évertue à les faire durer.
Pire encore, la mise en scène joue sur les contrastes de façon très académique : le film entier est muet à l’exception d’un court dialogue entre les deux protagonistes, afin d’accentuer leur rencontre. De même, puisque la majorité des plans sont fixes et droits, Kang sera suivi par une caméra portée en pleine foule le temps d’une séquence, puis par un plan fixe débullé, dans les deux cas pour retranscrire son malaise. On a parfois l’impression d’assister à un cours d’introduction au langage cinématographique tant ces quelques idées sont dénuées de subtilité.
Qu’y a-t-il à sauver de Rizi ? Indéniablement, sa photographie : le film est beau à en pleurer, avec cette omniprésence de reflets et ces légers mouvements dans chaque plan, sans lesquels on serait plus proche de l’image photographique que de l’image cinématographique. Il faut également admettre que la fameuse scène du massage est plutôt réussie et fait un bon usage de la lenteur : l'ambiguïté érotique se précise peu à peu, et l’un des personnages oscille entre l’éveil, le sommeil et la jouissance. Néanmoins, il y a assez peu de chose à dire sur Rizi tant le film joue sur une seule corde, qui s’avère ratée. Dès lors, il ne reste plus que l’impression d’avoir perdu son temps devant une vaste fumisterie, symptomatique d’un cinéma d’auteur pédant cherchant la distance à tout prix, quitte à être totalement hermétique. Et si certains sauront peut-être y déceler un sous-texte passionnant, difficile de s’y intéresser lorsqu’il est aussi peu appuyé par le texte.
Site d'origine : Ciné-vrai