L'héroïsme, entre hyprocrisie et absurdité

L'incertitude constante quant à la direction empruntée par De l'or pour les braves, dans un premier temps en tous cas, joue sans doute un rôle important dans son appréciation (ou son "abhorration") : on ne sait pas, pendant un très long moment, si l'on se dirige vers un film de guerre classique, vers une comédie, vers une satire, etc. C'est une zone grise plutôt appréciable et originale, à côté des deux arguments forts du film : Clint Eastwood et Donald Sutherland.


Car ces deux-là, tout de même, sont de sacrés numéros et pourraient presque légitimer le visionnage d'un film à eux seuls. Une période plutôt faste pour Sutherland, d'ailleurs, à l'affiche dans M.A.S.H. pour un total de 5 films sortis en cette année 1970, trois ans après son rôle tout aussi cinglé dans Les Douze Salopards. Le duo est à l'image de la troupe pittoresque qu'Eastwood (aka Kelly, d'où le titre original) rassemble autour de lui, imprévisible, multicolore, et motivée par des raisons bien différentes pour le suivre dans sa folle entreprise : passer derrière les lignes ennemies en pleine guerre mondiale pour récupérer un trésor de 14 000 lingots d'or enfermés dans une banque. Les scènes où Eastwood appâte les soldats un à un, en caméra subjective, avec le lingot d'or au centre de l'écran, faisant vaciller la raison de son interlocuteur tandis qu'il fait miroiter un gain démentiel dans ses reflets dorés, sont d'un comique et d'une manipulation mémorables.


Si certaines scènes d'action pure sont vraiment très bien menées (je pense surtout à l'évolution des tanks dans Clermont, avec une puissance de feu et un pouvoir de destruction tangibles), quoique plutôt inutiles dans le récit, c'est vraiment sa composante satirique qui le rend si particulier. Les accents anti-militaires caractéristiques des années 70 se ressentent un peu partout sans jamais se faire insistants, du personnage de Sutherland (un drôle de tankiste pré-hippie déchaîné sous LSD, totalement anachronique) aux intérêts particuliers de tout le groupe, mêlés à travers une guerre qui unifie sous la bannière de la convoitise des soldats d'horizons (voire carrément de camps) divers. Les références au western teintées d'humour ne sont pas particulièrement probantes à mes yeux, mais elles ne sont pas pour autant handicapantes : c'est presque de l'ordre de la blague potache. Tout comme le personnage de Sutherland, du reste, confirmant la volonté de se détacher de la réalité historique (le film fut tourné en Yougoslavie) mais pourvue d'un solide propos (à des années-lumière, donc, de Fury, comme une variante réussie de Les Rois du Désert).


La peinture de la guerre, comme un joyeux bordel où les motivations se trouvent plus dans le dépouillement d'une banque que dans la libération d'un pays, constitue une jolie farce. Le film se permet même un certain jusqu'au-boutisme en laissant s'allier ces GIs avec un tankiste SS pour défoncer la porte de ladite banque... Les frontières les plus fortes ne sont pas toujours celles que l'on se représente, les illusions ne sont pas toujours là où on les croit. L'or corrompt vraiment tout et tout le monde — mais il chasse les "negative waves", comme le clamera souvent un des personnages. Il permet également à un bataillon de soldats moyens, très vaguement convaincus par l'intérêt moral de leur investissement dans ce coin de la planète, de se transformer en un régiment incroyablement déterminé capable de percer les lignes blindées ennemies. Derrière l'héroïsme, une jolie couche d'hypocrisie et d'absurdité.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/De-l-or-pour-les-braves-de-Brian-G-Hutton-1970

Morrinson
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top films 1970, Mes films de guerre et Cinéphilie obsessionnelle — 2018

Créée

le 29 janv. 2018

Critique lue 601 fois

10 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 601 fois

10

D'autres avis sur De l'or pour les braves

De l'or pour les braves
Gand-Alf
7

Prends l'oseille et tire-toi !

Tourné par un gros studio alors que l'Amérique s'embourbe dans le conflit au Vietnam, "De l'or pour les braves" est symptomatique des années 60 / 70, époque où Hollywood n'avait pas peur de prendre...

le 2 mars 2014

20 j'aime

2

De l'or pour les braves
Jackal
7

Et pour quelques lingots de plus

Septembre 1944, les Alliés ne sont pas très loin de Nancy. Le soldat américain Kelly capture un colonel allemand et découvre qu'un gros dépôt de lingots d'or se trouve dans la banque d'un village...

le 12 déc. 2014

16 j'aime

5

De l'or pour les braves
Morrinson
7

L'héroïsme, entre hyprocrisie et absurdité

L'incertitude constante quant à la direction empruntée par De l'or pour les braves, dans un premier temps en tous cas, joue sans doute un rôle important dans son appréciation (ou son "abhorration") :...

le 29 janv. 2018

10 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

140 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11