Un tissu de bêtises affligeantes qui ravira les adolescents sans culture philosophique ou économique qui ont envie de se la jouer rebelle.
Le film se contente d'exploiter le filon de la rebellitude puérile par une succession d'affirmations péremptoires d'une vacuité argumentaire et d'une naïveté rarement égalée. Derrière un discours qui se la joue "prise de conscience", on ne fait qu'énumérer des poncifs d'ados pleurnicheurs qui peuvent se résumer à : "La société elle est méchante." Pas le moindre début de réflexion sur pourquoi cette société est comme ça et pas autrement, qu'est ce qui concrètement pourrait changer et comment...ou plutôt les "explications" sont d'un simplisme atterrant : c'est parce que nous sommes "aliénés" et "conditionnés" par le "système", et pis il suffit de se rassembler pour faire la révolution, de tout casser et mettre en place la société parfaite. Kikoolol.
Les khmers rouges n'auraient pas dit mieux. On pourrait aussi ramener le discours du film à une fameuse citation de ce cher grand timonnier, Mao Zedong, quand il disait que toute la complexité du marxisme pouvait se résumer à cette seule phrase : "On a raison de se révolter."
Vous l'aurez compris, il ne faut pas s'attendre à quelque chose de particulièrement neuf. Ce film reprend simplement toutes les vieilles antiennes anarcho-communistes, marxistes et situationnistes. Il ne s'agit pas d'un documentaire — on y apprend strictement rien — mais plutôt d'un manifeste libertaire en images.
Parmi tous les films anticapitaliste que j'ai vu, je crois bien que c'est le plus nul et creux de tous. Et c'est ce qui le rend le plus inutile, car il faudrait vraiment être stupide ou très naïf pour y voir une analyse pertinente de notre monde. D'ailleurs il n'y a pas la moindre analyse, juste une succession de poncifs et de phrases creuses. Pour s'en émerveiller, il faut soit être déjà convaincu, soit n'avoir aucune culture.
Le film est constitué à partir d'images tirées de divers autres films. Brient, ce type qui nous explique que nous passons trop de temps devant les écrans et que le divertissement nous "aliène", regarde apparemment beaucoup de films. Je me demande d'ailleurs comment il a monté le sien sans passer du temps devant son écran, sans utiliser un logiciel ou un ordinateur, ces produits qui n'existeraient pas sans la méchante société capitaliste moderne. Brient a sans doute oublié que le fait même que des ordinateurs existent provient de la lutte acharnée pour réussir d'hommes dont l'égalité aurait rendu le travail impossible, d'hommes qui vivaient pour l'argent et pour la gloire, et pas pour le peuple ou pour une utopie.
Certains passages sont du plus haut comique, lorsque par exemple la voix off prône une réinvention du langage au nom d'une posture esthétique, c'est-à-dire en clair la mise en place d'une novlangue. Il oublie au passage ce que tout linguiste sait, à savoir qu'une langue ne "s'invente" pas individuellement, elle est le fruit de ce qu'Hayek apellait un ordre spontané. C'est-à-dire un ordre non-planifié à l'avance, lequel résulte d'une multitude d'interactions que personne ne contrôle.
Mais Brient, ignorant certainement les concepts d'ordre spontané ou de catallaxie, s'imagine que si la société moderne est telle qu'elle est, cela ne peut être que parce qu'elle a été délibérément organisée comme telle. Par qui, par quoi ? On ne sait pas. Mais c'est comme si quelques personnes — les politiciens et les patrons sans doute — avaient sciemment décidés que les choses devaient être comme ça et pas autrement, que les gens devaient vivre comme ceci, acheter cela. Ne comprenant rien aux interactions sociales dans leur complexité, notre réalisateur se figure sans doute qu'il y a des gens qui tirent les ficelles. Il reprend ainsi le vieux présupposé du "tout est politique". Or rien n'est politique par nature, mais tout le devient dès lors qu'on cherche à organiser tous les aspects de la vie des gens ; ce qu'on appelle le totalitarisme. Ne lui vient-il pas à l'esprit que les gens, lorsqu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent, ne se comportent pas forcément de la manière dont il le souhaiterait ? Pour Brient, les choses sont très simples : on ne peut penser que comme lui. Si nous étions "conscients" de notre "aliénation", nous ne pourrions être qu'anarcho-communiste, cela va de soi. Tout ceux qui pensent autrement sont des abrutis ("la vérité est nécessairement subversive") ou des dangereux contre-révolutionnaires qu'il faudra sans doute éliminer, n'est-ce pas ?
C'est le coup classique. On prône l'absence de hiérarchie mais on induit une hiérarchie entre les hommes : il y a d'un côté l'élite "éclairée" et "émancipée", ceux qui ont "compris" (les libertaires forcément, qui vont nous dire comment vivre, comment penser) et de l'autre les imbéciles, qui sont abrutis par le système. Ces derniers sont "manipulés" ou "conditionnés", tandis que Brient lui ne l'est évidemment pas, il est probablement "émancipé".
Le film est basé sur des biais holistes : on explique la partie par le tout, sans expliquer le tout par la partie, dont elle est pourtant l'origine. Car dans tous ces beaux discours sur l'aliénation, Brient néglige quelque chose de pourtant fondamental : La liberté. Il est très peu fait mention de liberté individuelle dans le film. On se gargarise de discours et d'utopie, mais là dedans, la liberté semble être somme toute assez secondaire. (Alors que, soit dit en passant, c'était le thème central chez La Boétie.)
Car comme le rappelle Brient, si les gens achètent ceci ou cela, consomment ceci ou cela, travaillent ici ou là, c'est parce qu'ils le veulent. Il ont sans doute leurs raisons, non ? C'est leur problème, leur choix. (Mais non, pensez-vous ! Ils sont conditionnés !) La seule chose importante étant que Brient puisse, s'il le veut, vivre différemment. Qu'est ce qui empêche Brient et les gens qui pensent comme lui de vivre de manière alternative ?
Mais peu lui importe : ce qui compte semble t-il, ce n'est pas que lui puisse vivre ou penser différemment, mais surtout que tout le monde vive et pense comme lui, qu'il puisse imposer à tout le monde sa vision de la vie.
Contrairement à Brient, je me ne permets pas de penser que mes semblables sont plus "conditionnés" ou "manipulés" que moi-même. Si une minorité a trouvé par des circonstances diverses (auto-éducation, auto-information...) une forme de lucidité, c’est parce qu’ils ont eu la volonté de l’avoir. Les uns se rendent compte de ce "conditionnement" et les autres n’ont tout simplement pas envie de se rentre compte. C’est leur choix et je le respecte. Toutes ces utopies de partage, de collectivisme et de mouvements de masse ont finis en catastrophes. Je n’ai pas besoin que les gens pensent et vivent comme moi, tant qu’ils me laissent vivre.
Il ne suffit pas de proclamer les meilleures intentions pour qu'elle se réalisent. L'anarchisme et le communisme utilisent des moyens liberticides et inefficaces. Le propre du totalitarisme utopique est de réaliser le contraire de son programme au nom même de ce programme, et notamment d'instaurer tyrannie au nom de l'émancipation. C'est ce que Revel appelait le totalitarisme "indirect", c'est-à-dire médiatisé par l'utopie.
Le film est agrémenté de citations de penseurs, philosophes etc. que Brient se réapproprie à sa sauce. Beaucoup de gens qui sont cités étaient farouchement opposés aux idées de Jean-François Brient. Par exemple il cite Schopenhauer, Thoreau ou Nietzsche. Schopenhauer était, sur le plan politique un farouche conservateur qui aidait l'armée à traquer les révolutionnaires, Thoreau était un libéral opposé aux impôts et favorable au commerce, quant à Nietzsche, c'était un réactionnaire qui haïssait le communisme et l'anarchisme. Mais on le sait : s'ils n'étaient pas anarcho-communiste, cela ne peut être que parce qu'ils étaient aliénés par le système.
Il faudrait vraiment être très immature pour croire que déclamer des poncifs anarcho-communistes (qui ont été réfutés il y a fort longtemps par Frédéric Bastiat, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, Raymond Boudon, etc.) est quelque chose de rebelle ou de subversif. Si l'idéologie dominante était vraiment favorable au capitalisme, Brient ne pourrait pas faire un film sans argumenter. S'il peut se permettre de faire l'économie de tout argumentaire, c'est bien parce qu'il va dans le sens des préjugés courants. Plus conformiste, tu meurs.
Je dois avouer, à ma grande honte, que si j'avais vu ce film lorsque j'étais un peu plus jeune, je l'aurais sans doute adoré...
Si on cherche une vraie pensée anarchiste, mieux vaut aller voir du côté de Max Stirner, Lysander Spooner, Benjamin Tucker, Murray Rothbard voir Pierre Clastres.