UNE CERTAINE TENDANCE... DE JACQUES AUDIARD.
Audiard suscite depuis quelques temps et avec un succès toujours croissant, une admiration critique et publique, accèdant à force de film à un statut bien hexagonal, à comprendre, celui d'« auteur ». Des pistes dramaturgiques et thématiques se développant de film en film, invoquant plusieurs genres au sein de ses oeuvres, pour au final mieux les dissoudre avec brio et maitrise dans sa vision du monde de cinéaste. Un système de parti-pris scénaristique et cinématographique cohérent, lui conférant la « patte Audiard » reconnaissable à faire de lui un auteur à la mise en scène élégante, sensitive, proche des personnages et des déchirrures muettes qui les assaillent, en même temps qu'il décode avec intelligence les genres, pour dépeindre les portraits de ses milieux méconnus dans lesquels opérent ses (presque)héros.
La véritable force de Jacques Audiard, c'est de mener de façon convaincante et en long-métrage, l'ambition d'une nombre incroyable de notes d'intentions de cinéastes de court-métrages en France. Une tendance nationale qui clamerait haut et fort, le souhait d'une mise en scène élégante où capter l'émotion au plus proche de ses personnages serait la clé de ses drames humains et familiaux si nombreux. Jouer de focale changeante et sensible, décadrage des corps en mouvements, insert sur le grain de peau troublé des protagonistes, caméra épaule, captation d'un son qui va et viens dans l'espace, ou gros plans regards yeux dans les yeux pour exprimer sans mots la profondeur des sentiments.
Là ou la plupart des court-métrages se targant de telles intentions échouent (faute de talent ? Faute de moyen?), Audiard réussit sans peine et fait mieux encore. A force de le multiplier de film en film, cela lui semble facile, tel un démiurge ayant compris les lois mathématiques régnant sur ce monde de l'affect et de la sensation. (sorte de Philippe Grandrieux soft, restant sur les rails d'une narration codée et classique)
SAUF QUE VOILA. Auteur, un mauvais Jacques Audiard c'est quand même mieux qu'un Luc Besson. Auteur, revers sombre, c'est l'encessement aveugle et aveuglant des critiques pour son oeuvre, où l'on crie déjà à la Palme d'or après seulement deux jours de festivals (soit deux films seulement en compétition) dans le nouvel obs' et la critique du film parThierry de Cabarrus. Il doit sommeiller quelques part dans la notion d' « auteur », à deux pas sans doute, la notion de « fanatisme » pourtant beaucoup plus décrier.
Car à crier chef d'oeuvre à chaque film, c'est oublier d'y regarder de plus près. « De rouille et d'os » est sans doute son moins bon film, ou du moins son film qui passe après tous les autres. La patte et le talent d'un cuisinier que l'on reconnait, mais dans une recette ici nettement moins bien exécuté.
GIMMICKS NOYES
En l'occurence, c'est la logique Audiard poussé jusqu'à la limite du système de rapprochement qu'il opère sur ses personnages et qui vient habituellement tant magnifié le parcours de ses (anti)héros.
Ici, les rares plans d'ensemble s'effacent derrière les plans rapprochés, les très nombreux inserts et les plans américains. On avance au plus proche des corps, d'une mise au point vacillante rappelant celle d'un œil perdu cherchant quoi fixer, d'une bande son se rapprochant du spectateur à mesure que le personnage d'Ali avance vers lui. On ne compte plus dans le film le nombre d'amorce sur l'ombre des personnages.
Une immense part de la mise en scène tend ici à littérallement faire fusionner les points de vues entre protagonistes et spectateurs. Logique classique fondu dans une esthétique « sensible » moderne que Audiard dont Audiard semble s'être fait le chantre.
SAUF QUE VOILA , si tout semble pousser vers les protagonistes, le scénario semble clairement venir parasiter ce choix de mise en scène. Audiard multiplie les univers qu'ils traversent sans jamais vraiment s'y intéresser. Les portraits des mondes qu'ils explorent ne resterons qu'esquissent, et c'est justement là un problème surprenant chez d'Audiard.
« De Rouille et d'os » échoue ici, là ou Audiard réussissez par exemple dans « Un prophète » ou « De Battre mon cœur... », à mêlé intelligemment et élégamment, la trajectoire d'un personnage en même temps qu'il réussissez la description d'un milieu.
Les axes narratifs se multiplient et sans doute son scénario qui tire De Rouille et d'os clairement vers le bas.
Dans de « De Rouille et d'Os », les mondes explorés n'apparaissent que comme des faires-valoirs à une histoire et une mise en scène qui ne semble pourtant que s'intéresser au couple naissant. Ici, on peut alors se poser la question de savoir pourquoi Audiard multiplie les milieux tandis que la seul chose qui semble l'intéresser est l'histoire qui se tisse entre ses deux protagonistes ?
Apparemment cohérent avec l'univers habituel d'Audiard, les thématiques fondatrices de ses précédents films sont présentes dans « De Rouille et d'os » : personnages blessés, histoire d'amour entre milieux, travail en marge de la loi, société qui pousse ses individus passionnés jusque dans leurs retranchements du l'homme est un loup pour l'homme. Là, le scénario du film laisse perplèxe, englutiné dans des milieux ne nous disent jamais plus que les clichés habituels, bout à bout de perles pris dans un vernis délavé. Les mondes du marineland, des milieux clandestins, de la nuit, de la pression sociale... Le monde des sociétés de grandes distributions n'apporte à l'histoire qu'un cliché de plus, et surtout le Deus Ex Machina du départ d'Ali, qui aimait pourtant bien manger des yaourts périmés... , l'univers des combats clandestins sont une manière de gagner de l'argent en figurant lourdement sa personnalité autodesctructrice.
Les mondes se multiplient tandis qu'ils radotent les mêmes traits de caractères des personnages principaux.
Tant de détours et de choix scénaristiques maladroits, alors qu'on y revient, ce qui intéresse ici au devant de ces mondes, c'est bien l'histoire d'amour naissant entre ces deux personnages. On peut s'étonner ainsi qu'Audiard convoque ainsi autant d'univers, pour au final mieux les ignorer dans ses choix de mise en scène. Tout semble poussif, les axes narratifs s'esquissent qui pour mieux s'effacer aussitôt derrière la fatalité et les symboliques lourdingues.
Un scénario en coquille vide, oui et non. Il y a bien dans le scénario du film un souterrain analytique intéressant, et qu'on mettra en avant pour masquer le reste. La description d'un monde de prédateur, d'humain animaux en survie, de personnages qui se rencontrent et se détruisent par cette même violence, le portait d'un père immature, les chemins de la destruction et de la reconstruction. S'il y avait un terreau intéressant dans le mal que l'on s'inflige, la thématique de l'autodestrcution se dirige avec malheur vers une réponse classique pré-digéré, vers un dernier acte poussif et sa symbolique si lourde de la glace que l'on brise avec ses poings.
A vouloir trop en faire, à donner trop d'axes narratifs sans jamais les explorer, le film se retourne contre lui-même, nous éloignant de la souffrance des personnages alors que nous devions faire corps avec eux dans le projet initiale de mise en scène d'Audiard. Ainsi la mise en scène du sensible, la finesse de l'affect et de la sensation d'Audiard, se retrouve en l'occurence clairement parasiter par le scénario, comme dit plus tôt.
Et l'esthétisme si précieux d'Audiard pointé vers ses personnages en pâtit, pour prendre alors la forme d'un vernis masquant les craquelures du scénario, pire encore, son esthétisme finit par agacer. Si on est pris de ce sentiment, le film s'enfonce alors dans les méandres d'un « beau film », d'un vernis qui finit par le refroidir presque entièrement. En outre, la narration radote et nous éloigne, tandis que les gros plans se fond sur l'émotion du couple. L'esthétisme fini de nous éloigner d'eux. Il y a dans de « Rouille et d'os » le viol d'un film qui veut s'imposer avec force comme « un beau film ». Le système Audiard finit par se noyer, et à faire des émotions des mathématiques, on finit par l'éloigner des cœurs.
Heureusement, l'interprétation est impeccable, et les mauvais choix se sauvent en grande partie grâce à eux, toujours excellent dans la direction d'acteur d'Audiard. Même Cotillard surprend en bien, complétement habité convaincquante(là ou elle pouvait enerver par son cabotinement et les yeux globuleux de sa carrière américaine).
Film d'Audiard quand même, la plastique du film plaît et il reste des choses intéressantes d'invetions et de trouvailles de mise en scènes qui nous rappelle qu'Audiard, même en naufrage, reste un cinéaste créatif. Un auteur qui reste fidèle à sa vision, mais dont le language continu d'évoluer discrétement.
La frustration et la déception l'emportent cependant tant on perçoit toutes les conséquences dangereuses d'une incohérence entre forme et fond. Croisée des genres maladroites et souvent inutiles, symbolique lourde qui se donne facilement, manièrisme qui ne peut plus prendre.
Rendez-vous l'année prochaine à Cannes.