In Cold Blood est un film qui déborde de qualités, et ce à tous les niveaux : composante documentaire s'attachant à contextualiser l'horrible tragédie au centre névralgique des deux heures, travail photographique incroyable pour composer des atmosphères nocturnes à l'aide d'un noir et blanc tranchant, montage intelligent qui joue avec différentes temporalités et différents régimes d'explicite qui fait de la rétention d'information un puissant carburant pour l'intrigue... La liste est longue pour tenter de détourer les raisons d'une telle réussite, sur la toile de fond d'une histoire sordide : deux jeunes hommes en liberté conditionnelle qui assassinèrent une famille d'agriculteurs sans véritable mobile, poussés par l'appât d'un gain illusoire basé sur des rumeurs, acculés dans leur fourvoiement. Une histoire inspirée d'un fait survenu 10 ans plus tôt, en 1959. En sous-texte, le portrait d'une certaine Amérique, peuplée de rêveurs qui aspirent à la réussite qu'on leur a vendue mais qui se heurtent à la dure réalité sociale. Perry et Dick incarnent ainsi un concentré de ressentiments à l'égard de leur pays, de l'institution, et de ce qu'ils perçoivent comme une injustice fondamentale : "Ever see a millionaire fry in the electric chair?".
Si l'on peut reprocher une chose à Richard Brooks, c'est d'avoir mis les bouchées doubles pour légitimer la fragilité psychologique de Perry en usant et abusant du traumatisme passé qui resurgit constamment dans sa perception du présent. Pour le reste, il fait preuve d'une finesse appréciable dans le portrait du duo, dans l'avancement de l'enquête en parallèle de la fuite, avec pour point de convergence la révélation finale des événements qui ont scellé leur sort, à la faveur d'un ultime flashback. Une séquence riche en tension qui vient habilement (du point de vue de la dramaturgie mais pas nécessairement de la logique psychologique) consacrer les comportements des deux protagonistes.
Le travail de montage est vraiment ce qui rend le film aussi efficace à mes yeux, aidé en cela par la qualité de la photo qui sait conserver une grande part de sobriété. Au montage parallèle qui fait progresser le travail des enquêteurs en même temps que les pérégrinations des tueurs après leur méfait (tout en prenant le soin de ne rien dévoiler de manière explicite, pour préserver une incertitude), répond le parallèle des deux temps forts finaux, avec tout d'abord le massacre imprévu de la famille prise en otage suivi de la longue attente des détenus dans le célèbre couloir de la mort. Ces deux moments contiennent une même dimension suffocante, éprouvante, épuisante, et se font le reflet de deux excroissances malades des États-Unis, sans tomber ni dans le pamphlet contre la peine de mort (même si le constat est explicite) ni dans le réquisitoire contre deux assassins (partagés entre l'horreur de leur crime et une sorte de déterminisme social tragique). Sans doute, à mon sens, que lever le pied sur l'explication psychologique de l'acte meurtrier aurait conféré au film une puissance supérieure.
Mais pour le reste de la proposition, la structure est d'une efficacité redoutable, filant tout droit vers ses derniers moments, avec d'un côté les chocs de la responsabilité individuelle contre la responsabilité collective qui explosent lors de l'interrogatoire (Dick passant du psychopathe en contrôle à la victime qui se déresponsabilise) et de l'autre l'impasse caractérisée de l'exécution de la peine capitale (qui ne résout absolument rien en se cachant derrière de saintes valeurs). La mécanique de la violence est d'une implacabilité sidérante. C'est un peu comme si on assistait à la naissance d'un nouveau monde, avec ses nouveaux monstres, parfois sincères, parfois effroyables, tour à tour égoïstes et inconscients. Le malaise est total.
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