R.Brooks nous livre là un film noir intense et inspiré par le choix d'acteurs peu connus, Robert Blake et Scott Wilson qui confèrent au film un réalisme brutal. Le fantasme d'une vie meilleure et une famille assassinée pour 40 dollars. Ce fait divers de 1959 dénonce en filigrane une Amérique d'après-guerre, qui ne compte plus ses laissés-pour-compte. Le vétéran Perry ne trouve sa place nulle part, son ami Dick remplace son malaise par une désinvolture débridée, et l'inégalité économique est marquée par le portrait de cette famille aisée, face à ces deux jeunes hommes déphasés et dépassés par leur rêve américain.
Le réalisateur décortique, par effet rebond, une sorte d'émulation déconnectée entre Perry et Dick, l'un prenant la main après l'autre renforçant la confusion des caractères. Le portrait de ces deux jeunes assassins ne nous amène ni à la compassion ni à la haine, mais à suivre, terrassés, la lente et implacable déclinaison de leur destinée chaotique pour une violence gratuite et incompréhensible, au regard de scènes du quotidien ou de rencontres laissant filtrer une insouciance bon-enfant. La scène de collecte de bouteilles vides avec deux compagnons d'infortune, marque par sa solidarité. A l'inverse, voir la scène où ils sont pris en stop, nous démontrera que la vie ne tient qu'à un concours de circonstances pour ceux qui auront le malheur de les croiser. On navigue à vue et on s'interroge sur les faits réellement perpétrés.
Perry jeune homme sensible, et ambigu, se révélera le plus abrupt. Il se perd dans ses souvenirs qui viennent interférer dans un présent aux nombreux moments d'absence. La perte de repères qui en résulte est renforcée par le personnage de Dick, en butte contre la société toute entière, où son rapport à l'autre est finalement inexistant et ne fera que précipiter la chute dans la folie meurtrière.
Malgré une intensité sans défaut aux enjeux parfaitement intégrés sur les deux heures que dure le film, j'imagine qu'il faudra bien lire le livre, ne serait-ce que pour la réflexion et l'enquête menées par T.Capote, mais aussi de tous ces détails propres à l'écriture qui doivent forcément être passés sous silence ou des caractérisations plus poussées, notamment de cette famille. Les scènes préalables de relations aimantes et de vie plus qu'agréable à la campagne,, visant à creuser le fossé entre deux mondes, sont poussives et trop peu nombreuses, même si les réactions, les dialogues, la tentative d'amadouer leur bourreaux lors du cambriolage, répondent à nos pires craintes.
La force visuelle, la maîtrise de chaque plan, de chaque scène et de chaque cadrage, la photographie et le jeu de lumières, les splendides scènes de nuit, les regards et les jeux d'acteur ou encore un noir et blanc tranchant qui s'accorde au ton froid de l'ensemble, en font un bijou de mise en scène. Un suspense mené de main de maître et un montage judicieux avec la scène des meurtres, à la toute fin du film, en hors champs, qui vient clore un récit glaçant pour une intensité et une brutalité marquantes. Et en parallèle, l'enquête policière et les réflexions du policier en charge (John Forsythe), permet de suivre et de comprendre l'impasse dans laquelle lui-même et la justice se trouvent face à un tel massacre, interroge sur la peine de mort, et marque comme Perry et Dick, les facettes d'une Amérique bancale. Ce choix permet au déroulé d'être particulièrement prenant, malgré la résolution déjà connue. La chronologie des faits ne souffre pas des quelques ellipses, ni même de la récurrence de flashbacks, mais assurent un rythme et une tension sans défaut. Une réussite par la radicalité du propos, et par son humanisme et un malaise constant qui accompagne chaque scène par la justesse des portraits, et clos ce sordide fait divers, par des regrets arrivant bien trop tard.