Richard Brooks construit un petit bijou d’orfèvrerie fine avec De Sang-Froid : le montage, la construction du film, les transitions – bref la syntaxe - le placent dans la catégorie des meilleurs cinéastes de son temps.
Déjà scénariste des excellents Key Largo et Les démons de la liberté, réalisateur des non moins excellents Elmer Gantry et Bas les masques (le visionnage de La chatte sur un toit brûlant, il y a longtemps, a été moins marquant), Brooks maintient la barre haute avec De Sang Froid. Certes le travail de sape monumental de Truman Capote lui facilite la tâche, néanmoins il réécrit librement le livre et signe un scénario personnel où affleurent son point de vue, ses valeurs, sa relecture du fait divers et bien sûr sa mise en scène.
Brooks construit son récit sur l’attente de la scène de l’impardonnable crime qui, bien qu’annoncé assez vite, ne sera montré, pendant 10 minutes brillantes de tension, de violence glaciale et gratuite et de folie passagère, qu’à l’approche de la fin du film, après l’arrestation des criminels. Jusque-là, Brooks les humanise à travers leur simplicité (parfois affligeante), explore leur passé et leur psychologie pour expliquer ce geste que la population ne comprendra ni ne justifiera jamais, à travers un montage génial, fait d’analepses introduites par des fondus enchaînés très soignés et d’une grande créativité, dans un récit qui se veut fluide en épousant les cheminements intérieurs des personnages, le tout en déshumanisant la famille Clutter dans un montage alterné où elle apparaît comme une famille américaine traditionnelle ne suscitant alors aucun émoi chez le spectateur.
Puis, lorsque l’enquête prend les rênes du récit, Brooks continue de montrer un duo de criminels pas encore condamnables moralement, justifiant leur acte par leur passé de marginaux (fait d’absences, de frustration, de violence symbolique voire physique), mais avec une remarquable complexité et finesse dans l’analyse sociologique et psychologique. L’innommable acte perpétré par ce duo de losers viendra néanmoins rééquilibrer les forces morales et attribuer à la famille Clutter toute la pitié que sa tragédie mérite. Enfin, la fin du film, après le jugement irrévocable du jury et du spectateur, remontre des assassins humains dont la mort glaçante et évitable par pendaison remet en question la peine de mort en la renvoyant à la cruauté de leur crime dans un blanc et noir d’une belle épure.