Dans un mois de février riche en sorties prestigieuses : Moonlight, Jackie, Silence, American Honey, Loving, Fences ou encore Lion, il y a ce film français passant inaperçu par la faute d'une absence de promotion. La première réalisation de l'actrice, scénariste et chanteuse Rachida Brakni sur un sujet délicat, valait mieux qu'une sortie limitée dans un quasi anonymat.


Nous sommes en plein été, la canicule s'est abattue sur la France. C'est le jour de visite des familles à leurs proches incarcérés. Fatma (Samira Brahmia) et sa fille Nora (Zita Hanrot) se rendent à la prison de Fleury-Mérogis et vont retrouver d'autres femmes, dont elles sont devenues proches à force de partager ce moment particulier.


C'est en rendant visite à un détenu, que Rachida Brakni a eu l'idée de cette histoire. Elle a vu des femmes et peu d'hommes se rendre aux parloirs pour voir leurs proches. Face à ce constat, elle va nous permettre de suivre au plus près ses visiteuses, en nous faisant découvrir les lieux et les conditions pour avoir droit à une trentaine de minutes avec les détenus. Ce sont des mères, des sœurs, des épouses ou des amies, venant de différents horizons. On remarque rapidement les habituées. Elles semblent à l'aise dans leurs échanges avec les matons, se permettant des familiarités ou les raillant. On voit aussi celle qui débarque pour la première fois dans ces locaux insalubres ou la canicule se fait fortement ressentir. Chacune à son histoire, son vécu, sa raison d'être là et on va les découvrir au fil des minutes passées en leurs compagnies dans ce huis-clos étouffant.


Le film oscille entre la fiction et le documentaire. La découverte du fonctionnement des visites, des prises de rendez-vous et des lieux, ne sont pas souvent traités au cinéma. On a l'impression de pénétrer dans un endroit interdit, mais surtout de ne pas avoir envie de devoir un jour s'y rendre. Certaines femmes ont beau avoir l'air détendu, cela ne rend pas pour autant l'atmosphère agréable. Les murs sont tristes, comme les matons. On sent le manque de moyens pour garder ces locaux en bon état, le mal-être de ceux travaillant dans le pénitencier, sans pour autant excuser les attitudes de certains d'entre-eux, profitant de leur petit pouvoir pour maltraiter ces personnes. Elles sont des dommages collatéraux. Les mères culpabilisent avec le sentiment d'avoir échoué dans l'éducation de leurs enfants, alors que les épouses se reprochent d'être mariées à des criminels. Elles ne viennent pas par plaisir, mais par devoir.


Le huis-clos confère au film un côté théâtral. Elles passent d'une pièce à une autre. A chaque fois, ils se passent un drame. Un maton proche de la retraite ne cache plus son mépris pour ces gens, mais aussi pour lui-même. Son aigreur est palpable, comme celle de la plupart de ses collègues. La machine à broyer les hommes ne fait pas de différence entre ceux qui sont dans les cellules et leurs surveillants. Mais en ce jour particulier de canicule, les tensions et frustrations accumulées depuis des jours, semaines, mois ou années, vont exploser aux visages de chacun. Les langues vont se délier, les non-dits vont faire surface et la rancœur va se déverser sur ses femmes, ne sachant exprimer autrement leurs douleurs intérieures. Certaines sont pudiques dans leurs sentiments, alors que d'autres s'épanchent sans retenues. On l'aperçoit aussi à travers leurs tenues et attitudes. Elles ont beau avoir des différences de toutes sortes, elles sont dans la même galère et dans la dernière pièce, elles sont comme des lionnes en cage, prêtes à exploser à tout moment.


C'est un film oppressant et tendu. Dans l'ensemble, il est maîtrisé en jouant sur les plans serrés pour mieux nous faire ressentir ce sentiment d'enfermement. C'est parfois excessif et maladroit, mais cela reste une première oeuvre donnant envie de découvrir les prochaines réalisations de Rachida Brakni. Puis, il y a ces formidables actrices Zita Hanrot déjà impériale dans Fatima, la découverte Samira Brahmia toute en retenue avant de tout emporter sur son passage, les retrouvailles avec Fabienne Babe et ses non-professionnelles se mêlant aux autres, sans que l'on ressente une véritable différence dans leurs jeux. D'un sas à un autre, on passe un moment passionnant de cinéma.

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le 28 févr. 2017

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Laurent Doe

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