Quelle étrangeté, quelle énigme, quel mystère. Que penser de Dead Man ? Pourtant, je savais déjà que le film de Jarmusch avait la réputation d’être assez obscur, et qu’il n’allait pas s’agir d’un visionnage comme les autres. Je n’ai, en effet, pas été déçu.


Ma vision du cinéma de Jarmusch, encore limitée par le faible nombre de films réalisés par le cinéaste que j’avais vu à date, et à mes quelques connaissances annexes, se résumait à celle d’un cinéma authentique, proche de l’humain, essentiel. Quand Dead Man débute, toutes les composantes du cinéma de Jarmusch sont présentes, avec ces personnages marginaux, et ces longs moments de silence invitant à l’introspection. Mais il y a, dans ce film, quelque chose de particulier. Une atmosphère, une ambiance singulière. Le voyage en train, interminable, mené en solitaire au milieu de drôles d’oiseaux, est en ce point, annonciateur du périple de William Blake aux confins du monde. Les États-Unis sont encore en construction, en pleine ruée vers l’or, au milieu des contrées sauvages et désertiques où la civilisation peine encore à s’installer.


S’il faut associer Dead Man à un genre, c’est bien au western, au vu des éléments précédemment décrits. Pourtant, il ne s’agit pas de résumer le film de Jarmusch à un western, tant il s’en réapproprie les codes, voire les contredit. Loin des grands espaces et des longues chevauchées, Dead Man est beaucoup plus intimiste, étouffant et statique. Autant qu’il le fera, par exemple, dans Ghost Dog et Paterson, Jarmusch propose, avec Dead Man, un retour aux fondamentaux. Ici, toutefois, la démarche menant à ce retour aux fondamentaux va bien plus loin, s’aventurant aux frontières mêmes de la réalité.


Avec ce noir et blanc, Dead Man se dote d’une beauté particulière, qui pourrait cette l’associer à l’époque durant laquelle se déroule l’intrigue, mais qui le rend surtout intemporel, avec ce côté éthéré et lointain. Le périple de William Blake a tout d’une descente aux enfers. C’est un aller simple aux confins de l’humanité, où il ne rencontrera qu’un Indien un brin étrange judicieusement nommé « Personne », et des brigands ou des chasseurs de prime. Un voyage loin de toute civilisation, alors que celle-ci montre déjà un visage guère plus flatteur et rassurant que la nature hostile. Inexorablement, Blake s’éloigne de tous repères de temps et d’espace, accompagné de la musique hypnotique de Neil Young, et de ces mélodies jouées à la guitare électrique, qui alimentent cet aspect irréel, dans un voyage quelque part entre une réalité oubliée et la conscience de William Blake.


Dead Man est un film aussi simple dans sa volonté d’aborder des choses essentielles de la vie, qu’il peut être compliqué à cause de son aspect contemplatif et décousu. C’est un film auquel il faut réussir à adhérer, et qui ne peut plaire à tout le monde, notamment ceux qui ont du mal avec le cinéma contemplatif. Même si l’expérience m’a beaucoup plu, les qualificatifs que j’associerais au film seraient, étonnamment, négatifs : statique, léthargique, fatigué, fatigant… Mais c’est ce qui rend aussi ce genre d’expérience unique et marquante. C’est irréel, partant justement d’une réalité pour la heurter à un imaginaire, jusqu’à ce que les deux fusionnent. On perd tout repère et on s’égare, et c’est une des grandes capacités du cinéma. Avec Dead Man, Jim Jarmusch se réapproprie les codes du western et propose une errance mystique dont la singulière étrangeté la rend hypnotique. Les lointains airs de guitare électrique se répercutent dans le néant, et l’expérience demeure. Était-ce un rêve ? Nul ne le sait.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 20 juil. 2019

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JKDZ29

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