Red fist
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Oui, c'est terrible, parce qu'on n'en sort pas, de cette ère du blockbuster bas de gamme pour teen dénués de tout esprit critique. Dernier exemple en date : Deadpool. Pas la grosse machine habituelle, nous dit-on, d'autant plus que son budget est cinq fois moindre que celui des Avengers 2, Star Wars VII et consorts, mais un blockbuster quand même, ce que nous démontrent déjà les premiers chiffres au box-office américain. Qu'on ne nous présente pas le film de Tim Miller, très largement soutenu par un Ryan Reynolds à la sincérité indiscutable, comme un succès surprise, ceci dit. En amont, des dizaines de teasers, de trailers, de spots, d'affiches parodiques, de campagnes contre le cancer du testicule, sont venus nous conforter dans l'idée que même au ciné, Deadpool serait un personnage atypique. Une promo maousse, terriblement efficace apparemment, mais qui pose une question : un film de studio, dont l'esprit de subversion est si savamment marketé, peut-il être réellement subversif ?
Dans Deadpool, à part quelques gerbes de sang en CGI, quelques nichons et trois fuck à la minute, rien, réellement, ne vient dynamiter l'entreprise. Pouvait-il en être autrement ? Un studio allait-il réellement signer pour un film qui risquait de se mettre à dos son public ? Voire de mettre à mal ses plans en matière de franchises superhéroïques ? Non, bien sûr que non, et c'est même tout le contraire : Deadpool, c'est le système qui devance toute tentative extérieure en prenant en compte sa propre critique. Là où on nous promet un renouveau du film de super-héros, en réalité on nous propose le parangon d'une politique de studios qui incite à l'abrutissement des masses dans la joie et la bonne humeur.
Finalement, tout ce qu'il moque gentiment (notamment dans son générique d'ouverture), Deadpool le fait aussi. On est là face à une origin story vue et revue à peu près deux cent fois ces quinze dernières années, avec à la clef une histoire d'amour tout ce qu'il y a de plus banale. La première scène d'action, artificiellement gonflée par un effet de montage qui l'étire sur plus de quarante minutes, tente très maladroitement de nous persuader de la nouveauté et de la coolitude de l'entreprise. Un leurre. Déjà ringard, Deadpool succombe à tous les codes esthétiques du film de super-héros contemporain : préparez-vous à voir du gris, partout, tout le temps, et à sentir ce goût amer que laissent tous ces spin-offs qui peinent à égaler leur modèle.
Rappelez-vous des blockbusters signés Paul Verhoeven : Robocop (1987), Total Recall (1990), Showgirls (1995), Starship Troopers (1997) : réellement subversifs, politiques, satiriques, ils disaient ses quatre vérités à l'Amérique d'alors. Longtemps incompris, malaimés, ou énormes succès sur un malentendu (il faut voir le trailer très premier degré de Starship Troopers pour le croire), ces films ont su développer un propos que Deadpool n'ose même pas effleurer. Plus récemment, les superproductions des Wachowski, de Brad Bird, de George Miller, de Lord et Miller ou encore de Steven Spielberg (hallucinant, ce qu'il s'est permis dans les années 2000) ont su démontrer qu'il est possible d'allier pyrotechnie et intelligence, car de la subversion, il y en a cent fois plus dans le moindre plan de Tomorrowland que dans tout Deadpool.
Non pas que le dernier né de la Fox soit foncièrement déplaisant : il faut bien avouer que dans un tel bombardement de références et de blagues potaches, certains passages font forcément mouche. Mais on est là face à une simple pochade pour lycéens, à tendance plus souvent beauf que geek qui plus est. Autrement dit, et sans surprise aucune, Deadpool est un divertissement ultra-calibré, qui brosse dans le sens du poil ses spectateurs tout en ne se risquant jamais à développer un quelconque propos. Un produit plus qu'un film, en somme, ce qui rend d'autant plus triste la réception critique et publique outre-atlantique : dans un aveuglement généralisé, une très grande majorité de spectateurs déjà acquis à la cause du film se persuade d'y voir un long-métrage adulte, à contre-courant et presque courageux dans sa conception. Bravo Hollywood, c'est encore une victoire.
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le 13 févr. 2016
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