Après sa trilogie de la vengeance, « Thirst, ceci est mon sang », « Stoker » et la sublime « Mademoiselle », Park Chan-Wook retrouve la Croisette avec un récit particulièrement bien fouillé. Si le « Vertigo » d’Hitchcock résonne dans les couloirs, ce sont globalement les films noirs qui sont les piliers de la narration. Le visuel va ensuite brasser tout un tas d’idées pour composer un cadre, souvent en mouvement et souvent vertigineux, comme pour nous hypnotiser à l’usure. Un arrière-goût d’Otto Preminger se dégage alors de l’exercice de style, purement technique, où la mise en scène devient l’outil de compréhension pour le spectateur et de délivrance pour les personnages, mutilés par leurs désirs et une profonde mélancolie.


Nous progressons donc dans la brume, mais avec une clairvoyance dont le cinéaste a le secret. En mariant les genres et en multipliant les ruptures de ton, le spectateur se fait constamment balader dans une confusion partagée avec le héros. Jang Hae-Joon (Park Hae-il) est un détective qui a atteint sa maturité, ou presque. Il excelle dans ses affaires et dans les courses-poursuites, où il semble se situer à la parfaite limite entre la retenue et la flamboyance. Ce sera sur ce même terrain glissant que le réalisateur nous invite à explorer la psyché du bonhomme, obsédé par une mort mystérieuse et fasciné par l’objet premier de son enquête. La suspecte Song Seo-Rae (Tang Wei), n’est autre que la veuve chinoise du défunt, qui catalyse un penchant certain pour un cynisme inquiétant. Elle apporte cette fraîcheur, puis soudainement une froideur, qui a de quoi figer son vis-à-vis, qui s’éprend peu à peu de la figure de la femme fatale.


Son développement reste alors des plus généreux et nous ne pouvions attendre que cela, sachant toute la tendresse que Park Chan-Wook a pu transposer dans son film précédent. Les armes de cette dernière restent pourtant rattachées à son archétype, où le mensonge et la manipulation sont de mise. De notre côté, cela passe par un changement de temporalité, tenu dans une même réplique, dans un même souffle et dans une ambiguïté à en perdre une partie du public, moins à l’aise avec une approche aussi stylisée et sensorielle. Le film est une accolade permanente et mutuelle. Chacun cherche à avoir le dessus sur l’autre, à ses dépens, mais en ajoutant une couche supplémentaire de complexité pour ne pas sombrer dans la simplicité du scénario, maintes fois revisité.


« Decision to leave » (Haeojil Gyeolsim) est définitivement une œuvre qui surligne les genres et construit son atmosphère sur les nuances. Le cinéaste coréen vient donc sonder l’âme de ces deux êtres magnétiques, qui s’attire rarement au même moment et se repousse pour la satisfaction de se retrouver un peu plus loin sur la pente qu’ils dévalent ensemble. La touche de modernité revitalise ainsi chaque nouvelle interaction, partant d’un interrogatoire et qui finit en un dîner aux chandelles. Pourtant, tout n’est pas aussi lumineux, car c’est dans la pénombre que l’on se surprendra à révéler ses sentiments et ses atouts les plus précieux, quitte à se noyer dans la démonstration. La patience est donc de rigueur. Encore faut-il bien activer tous ses neurones dans l’exercice et ne pas perdre une miette de ce condensé fiévreux d’un amour impossible, afin de jouir de chaque instant, dont la récompense se trouve au bout du tunnel.

Cinememories
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le 9 juin 2022

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