Factice Instinct
Jamais. Non, jamais je ne suis parvenu à rentrer dedans. On aura beau mobiliser tous les arguments formalistes qui soient – arguments que ce Decision to Leave peut fournir à foison et ça je l’entends...
le 3 juil. 2022
112 j'aime
16
Park Chan-wook est un cinéaste dont j'avais tendance à me méfier. J'avoue qu'Old Boy (sans le détester parce qu'il est malgré tout un thriller aussi captivant que cruel avec des moments qui déchirent grave !), Stoker et Lady Vengeance (que je n'ai pas du tout aimés, désolé !), par leur avalanche de gore (enfin pour les opus sud-coréens cités !), par des effets clipesques à deux balles, par un alignement de séquences qui se veulent un peu trop choquantes pour ne pas paraître gratuites (partiellement pour le premier, complètement pour les deux derniers, pour essayer de dissimuler un scénario creux !), ne m'ont pas poussé à crier un amour ardent pour ce réalisateur.
Et puis, il y a eu Mademoiselle, thriller érotique, non dénué d'humour, s'assumant d'une façon jouissive comme un film aux retournements de situations aussi nombreux que les retournements de veste d'un politicien au cours de sa carrière. Et puis, il y a eu la mini-série The Little Drummer Girl, qui confronte, non sans maestria, la complexité des sentiments à celle de la géopolitique sur fond d'intrigue d'espionnage. J'ai eu l'impression de voir un monsieur en train de gagner en maturité. Et bordel que c'est bon. Et puis, il y a eu Decision to Leave (oh quel beau titre francophone !)... mais je kiffe ce metteur en scène...
Alors, par où commencer ? Ben, sous l'influence de Vertigo (je vais essayer d'en balancer le moins possible sur l'intrigue !), Park Chan-wook donne un thriller qui se fait un malin plaisir de perturber le spectateur ou la spectatrice sans cesse. Par l'apparition et l'ordonnancement de certaines scènes, on est poussés à se demander souvent "mais qu'est-ce qui se passe, bordel ?". Le fait de perdre celui ou celle qui est en train de visionner le film n'est pas dû à une négligence d'ensemble, mais parce que le réalisateur veut que l'on soit confus(e) à tel ou tel moment. La preuve, c'est que l'on parvient à comprendre après coup. Tout ceci est dans le but de mieux plonger dans une atmosphère trouble, embuée, dans laquelle l'ambiguïté règne en maîtresse.
Au début, j'ai cru naïvement à une enquête policière avec un banal whodunit incluant une romance perverse avec un manipulé et une manipulatrice. Bah non... certes, de la manipulation, il y en a, de la perversité, il y en a, mais, la vache, sans crier gare, il y a une histoire d'amour bouleversante qui vous fracasse à tel point qu'on en ressort assommé. Le plus important n'est pas finalement si un personnage a réellement commis tel acte ou non (et comment !), mais de voir deux êtres se laisser consumer par leur passion, chacun à leur manière.
La réalisation est belle, visuellement inspirée (on est loin de banals champs-contrechamps !), fourmillante d'originalité pour mettre en exergue le rapprochement entre les deux protagonistes (je défie quiconque d'utiliser des bruits de clignotants de voitures aussi habilement qu'ici !). Il y a très peu de gore ou d'érotisme. Park Chan-wook a compris qu'il n'avait pas forcément besoin de tous ces oripeaux pour marquer, pour dégager de la force, pour bien triturer l'esprit. L'humain peut largement suffire dans cette entreprise.
Qu'ajouter de plus ? Ah oui, quand même, le duo Park Hae-il et Tang Wei (elle m'avait déjà bluffé de ouf dans Lust, Caution ; là, elle récidive !) est absolument magistral. Même si la mise en scène et le scénario sont brillants, sans ses deux comédiens, Decision to Leave n'aurait pas été la réussite qu'elle est.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de Park Chan-wook et Les meilleurs films de 2022
Créée
le 30 juin 2022
Critique lue 2.5K fois
68 j'aime
19 commentaires
D'autres avis sur Decision to Leave
Jamais. Non, jamais je ne suis parvenu à rentrer dedans. On aura beau mobiliser tous les arguments formalistes qui soient – arguments que ce Decision to Leave peut fournir à foison et ça je l’entends...
le 3 juil. 2022
112 j'aime
16
Park Chan-wook est un cinéaste dont j'avais tendance à me méfier. J'avoue qu'Old Boy (sans le détester parce qu'il est malgré tout un thriller aussi captivant que cruel avec des moments qui déchirent...
Par
le 30 juin 2022
68 j'aime
19
Même si Park Chan-wook revient (un peu) aux bases de son cinéma, on le retrouve à son niveau habituel : la forme prime sur le fond, la machinerie est bien huilée, c’est beau, c’est inventif (dans sa...
le 26 mai 2022
30 j'aime
Du même critique
L'histoire du septième art est ponctuée de faits étranges, à l'instar de la production de ce film. Comment un studio, des producteurs ont pu se dire qu'aujourd'hui une telle œuvre ambitieuse avait la...
Par
le 18 janv. 2023
313 j'aime
22
Christopher Nolan est un putain d'excellent technicien (sachant admirablement s'entourer à ce niveau-là !). Il arrive à faire des images à tomber à la renverse, aussi bien par leur réalisme que par...
Par
le 20 juil. 2023
219 j'aime
29
Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise adaptation, il y en a des fidèles et d'autres qui s'éloignent plus ou moins du matériau d'origine. Et la qualité d'un film, issu d'une adaptation...
Par
le 1 juil. 2024
202 j'aime
42