Je suis venu voir Deep End complètement par hasard.
Pendant la projection, deux personnes de la salle ont crié de joie lorsque Jane Asher a laissé ses vêtements tombés, et mon gros voisin, trois sièges plus loin, se tripotait les instruments (ce que je n'ai compris qu'en toute fin de séance, une fois que mes yeux furent détachés de l'écran) ; aucun de ces "événements" ne m'a pourtant surpris ou importuné : comment aurait pu-t-il en être autrement ?
Au départ, je n'y vois qu'un petit film sympathique, cliché sur les bords, mais tournant autour d'une relation qui me paraît très vite peu crédible. En effet, la première question que je me pose est : toute cette relation entre un enfant de 15 ans et une gracieuse jeune femme 10 ans plus âgée, est-ce bien sérieux ?
Puis, plus j'ai découvert à qui j'avais affaire, plus j'ai laissé à cette petite liaison (qui, au final, relève plus d'un jeu) le bénéfice du doute ; car ce n'est (hélas) pas toujours des yeux cartésiens de Mike qu'il faut décrire le monde des tempêtes et des lumières des filles et femmes de Deep End.
On se laisse guider gentiment à travers ce petit monde de petits personnages, puis arrivent les danses fougueuses de la caméra à mesure que Mike lève le mystère qu'est cette rousse ; et plus on danse, on bondit, on tourne, on court derrière ces 2 jeunes, plus on s'attache ; jusqu'à la scène finale.
Ces scènes dansantes sont millimétrées comme dans un Fincher, mais avec un ton qui n'a (évidemment) rien à voir : à la violence se substitue une poésie, qui cependant ne fait que recouvrir une violence latente qui seulement lors des derniers battements du film s'exprime ; et comment !
C'est là tout l'enjeu du film : sous la douceur des moues enfantines se cachent des vérités que seul une touche avant-gardiste peut rendre non seulement belles, mais enivrantes ; comme une drogue. Puis comment croire que ce film a 40 ans ? Car cette patte là, aujourd'hui encore, fait figure d'avant-garde, et s'inscrit dans la mouvance des créations folles des sous-cultures européennes de l'est. De l'imperméable jaune flashy à l'épaisseur des câbles électriques au rouge sang de la peinture qu'on applique sur les murs du lavoir, cette touche (que certains qualifieront d' "artsy"), qui se manifeste encore dans les musiques comme dans les affiches du film, n'est pas ici la parure stylistique d'un film qui sonne creux, mais la caisse de résonance du phénomène humain qui, devant nos yeux excités (dans tous les sens du terme), se joue à composer une fougueuse tragédie qui, bien qu'annoncée de toutes parts, nous surprend à faire des vagues du bain un tsunami.
C'est le poème de Jerzy Skolimowski, qui a autant à voir avec l'adolescence, le non-dit et le tabou qu'avec le paradoxe de l'être féminin, et avec toute la violence de l'hypergamie de la femme fertile mais pas toujours fatale qu'est Susan, rousse au manteau aussi large que l'éventail de son égo, majestueuse maîtresse d'un monde dont pourtant jamais elle ne sera reine.